Des recteurs anonymes dénoncent le projet de loi sur l'ESR

Alors que le projet de loi Fioraso pour l'enseignement supérieur et la recherche vient d'être présenté en conseil des ministres, un cercle de recteurs anonymes dénonce dans une tribune ses orientations: nivellement par le bas, et transformation des universités en "navires ingouvernables".

Voir le Educpros Publié le 21.03.2013 à 12H38, mis à jour le 24.03.2013 à 12H12

ALORS QUE LE PROJET DE LOI FIORASO POUR L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET LA RECHERCHE VIENT D'ÊTRE PRÉSENTÉ EN CONSEIL DES MINISTRES, UN CERCLE DE RECTEURS ANONYMES DÉNONCE DANS UNE TRIBUNE SES ORIENTATIONS: NIVELLEMENT PAR LE BAS, ET TRANSFORMATION DES UNIVERSITÉS EN "NAVIRES INGOUVERNABLES".

Le projet de loi présenté mercredi 20 mars en conseil des ministres par Geneviève Fioraso va permettre à l'enseignement supérieur de s'autodétruire. C'est ainsi que l'on pourrait qualifier l'essentiel des éléments du projet de loi sur l'enseignement supérieur et la recherche au-delà des mesures qui ne sont que de la cosmétique ou, et il faut le saluer, la poursuite d'orientations déjà existantes (réussite en licence, liens avec les lycées, mobilité internationale, apprentissage des langues, numérique, reconnaissance du doctorat...).

Les motifs ou les orientations et les objectifs qui sous-tendent ce texte ne sont pas exposés. On n'y retrouve pas, non plus, trace des ambitions légitimes que la Nation pourrait porter pour son dispositif d'enseignement supérieur, encore moins comment la mise en oeuvre des mesures proposées pourrait servir de telles ambitions. Bien au contraire, ce texte procure la désagréable sensation d'un ensemble de mesures techniques essentiellement inspirées par le souci de défaire ce qui a été fait. En l'état, sa mise en oeuvre entraînera un nivellement par le bas et installera une incapacité de pilotage des établissements désormais autonomes les transformant en navires ingouvernables, en bateaux-ivres. Ce projet va à contre-courant des évolutions qui ont été menées dans de nombreux autres pays (autonomie effective des établissements et spécialisation thématique pour des réseaux d'excellence).

Une université bicéphale et une dilution des pouvoirs Le conseil d'administration de l'université voit son nombre de membres augmenter mais est démuni d'une partie de ses prérogatives au profit d'un conseil académique pléthorique (40 à 80 membres) présidé par un président qui n'est pas le Président d'Université. Même s'il est précisé que les statuts de l'université prévoient les modalités de désignation du président du conseil académique, chacun connait la propension des universitaires à être le moins dépendants possible d'une hiérarchie et il y a fort à parier que ce nouveau Président représentera un contre-pouvoir par rapport au Président d'Université.

D'autant qu'au vu des prérogatives de ce conseil académique, on peut se demander si le Président du conseil académique n'aura pas plus de pouvoir en interne que le Président d'université qui lui-même risque d'être relégué au rôle de porte-parole extérieur et d'interface avec le Ministère. En effet, le conseil académique (commissions de la recherche et de l'enseignement) va décider de la répartition des moyens, du recrutement et de la gestion des carrières. Si c'est le Président d'université qui conduit le dialogue de gestion avec les composantes, alors pourquoi la répartition des moyens serait-elle du ressort du conseil académique ? Si c'est le Président du conseil académique, à quoi sert donc le conseil d'administration?

Ainsi, la nouvelle gouvernance proposée organise délibérément le face à face de deux instances et même de deux Présidents. Ce dispositif encouragera les blocages et conflits qui existent déjà dans les universités et qui seront aggravés et amplifiés.

Sauf à imaginer, mais le doit-on, que le but poursuivi soit de faire disparaitre les universités qui n'auront pas capacité à dépasser ces handicaps; en ce cas, respect, ce projet est parfait.

Un nivellement par le bas

Le dogme de l'équité ne doit pas raboter les nécessaires stratégies d'émulation et de complémentarité entre les établissements.

Et pourtant, ce même modèle bicéphale va être appliqué aux écoles d'ingénieurs alors même que celles -ci bénéficiaient d'un mode de fonctionnement et d'une souplesse d'organisation qui leur ont permis de développer fortement les liens avec les milieux économiques.

Ce projet de loi supprime d'ailleurs la possibilité de créer des grands établissements ; possibilité qui fut ouverte par la loi Savary dès 1984.

Ce statut juridique particulier de grand établissement a été sollicité par des établissements prestigieux dont le volet recherche est souvent très développé et/ou des établissements particuliers sur le territoire. Il s'agit d'un statut hybride libérant les institutions concernées d'un certain nombre de freins juridiques et administratifs leur permettant ainsi d'aller plus avant dans leur mission propre.

Réduire le nombre de grands établissements, c'est mettre un frein au développement d'établissements de premier plan et s'assurer qu'ils auront la même chape de plomb que tous les autres pour satisfaire cette ambition de l'excellence

Cet égalitarisme forcené-sûrement dû à l'apparition de nombreux nouveaux projets de grands établissements dans nos universités- est totalement incompatible avec la compétitivité de l'enseignement supérieur.

Une autonomie en danger sans identification du rôle des partenaires Au-delà de cette nouvelle caractéristique d'établissements définissant leurs politiques de recherche dans un conseil académique essentiellement composé d'enseignants-chercheurs et d'étudiants loin des réalités économiques, l'organisation territoriale en " communautés d'universités " et la mise en place de points d'entrée régionaux avec 30 " sites " laissent tout autant perplexe.

Les contrats de site seront signés conjointement avec les régions sans que le rôle de celles-ci ne soit, à ce jour, défini. Puisque l'on va vers une "régionalisation" de l'enseignement supérieur, n'aurait-on pas pu, au moins, prendre en considération les choix des pays où l'enseignement supérieur a déjà été régionalisé? En Allemagne, par exemple, on assiste au mouvement contraire, le gouvernement a repris la main pour faire émerger des pôles d'excellence nationaux capables d'entrer dans une compétition internationale qui, quoiqu'on en pense, existe et dépasse largement l'hexagone.

"Une vraie régression" L'enseignement supérieur dans sa globalité doit être le lieu de construction et de transmission du savoir. Il faut donc lui en donner les moyens, et bien avant les moyens financiers, les moyens structurels. L'autonomie était le prélude à cette longue transformation nécessaire. Défaire ce qui a été fait en ce domaine est une vraie régression dans le champ de la compétitivité internationale.

Car l'enseignement supérieur et la recherche s'ils sont les outils de notre développement économique sont aussi par leur développement et leur excellence, les meilleurs vecteurs d'attractivité de talents étrangers.

Nier cette compétition internationale qui nous dépasse, imaginer que la seule vérité est celle du dogmatisme égalitaire et mettre des freins à la marche de nos universités et écoles d'ingénieurs vers l'excellence, c'est dès lors aussi saborder l'avenir de notre pays et de nos enfants. Ce projet est tout simplement mortifère pour notre enseignement supérieur et notre recherche.