Des stéréotypes bon chic bon genre ? Non à la manipulation des sciences sociales

DES STÉRÉOTYPES BON CHIC BON GENRE ?

NON À LA MANIPULATION DES SCIENCES SOCIALES !

Tribune parue dans le Monde.fr le 12 février 2014->http://www.lemonde.fr/idees/article/2014/02/12/non-a-la-manipulation-des-sciences-sociales_4364763_3232.html]

Depuis plusieurs semaines se multiplient les propos et les rumeurs les plus invraisemblables sur ce que d'aucuns nomment la « théorie du genre ». Même le ministre de l'éducation nationale se croit obligé de dire qu'elle n'est pas enseignée dans les écoles ! Mais comment le serait-elle puisqu'elle n'existe pas ? Rappelons ici quelques vérités toutes simples qui semblent pourtant avoir déserté le débat public à force de discours mensongers.

La notion de genre remet en question des stéréotypes liés aux différences biologiques, qui ne sont aucunement niées. La question n'est pas de faire comme s'il n'y avait pas de différence physique entre un garçon et une fille (sexe biologique) ; la question est de savoir en revanche comment cette différence biologique sert d'argument pour légitimer des inégalités de tous ordres au détriment essentiellement des femmes.

Les études sur le genre s'appuient sur un corpus de travaux empiriques validés au sein de communautés scientifiques internationales dont la rigueur et l'autonomie intellectuelle sont reconnues ; ils ont notamment montré que cette différence biologique sert dans nos sociétés, y compris prétendument développées et éclairées, de justification magique à un certain nombre de discriminations : les femmes participent moins à la vie publique ou politique, elles bénéficient d'une moindre reconnaissance professionnelle dans les déroulements des carrières, elles touchent des salaires inférieurs pour le même travail, elles accomplissent la plus grande part des tâches domestiques (cuisine, ménage, courses, soins aux enfants ou aux personnes âgées)…

Leurs choix de métiers sont plus contraints et restreints que ceux des hommes, elles ont des libertés de choix en matière amoureuse ou sexuelle diminuées voire niées… Les études sur le genre ont donc permis de comprendre et de lutter contre les stéréotypes associés aux différences entre les sexes et leurs effets dévastateurs aussi bien pour l'épanouissement des filles que des garçons.

Afficher fièrement comme certains : « Touche pas à mon stéréotype ! » c'est revendiquer un droit à la bêtise, à la paresse intellectuelle et aux conceptions les plus rétrogrades et conservatrices qu'elles autorisent ! Dans la tradition intellectuelle des Lumières, les sciences humaines et sociales – et parmi elles les études sur le genre qui associent des sociologues, des politistes, des historiens, des juristes, des ethnologues… – contribuent par leurs analyses et leurs travaux à démonter les mécanismes des inégalités sociales et contribuent ainsi au progrès social.

Nous ne pouvons donc que condamner les invocations fallacieuses à des fins politiques rétrogrades, sexistes et racistes, de prétendues théories sociologiques qui n'ont jamais eu cours dans nos domaines scientifiques. Car, redisons-le : la théorie du genre n'existe pas.

Malheureusement dans la période de crise et de désespérance sociale que nous connaissons, ce discours manipulatoire trouve un certain écho, même dans les familles qui sont victimes au quotidien de ces inégalités. Il est du devoir des éducateurs, – enseignants et familles – de condamner ces discours aussi mensongers que dangereux.

[Signez et faites signer la pétition pour la défense des études sur le genre et contre la campagne de désinformation réactionnaire

Tribune signée par un collectif d'associations professionnelles d'enseignants et chercheurs en sciences humaines et sociales

Laurent Colantonio Président du Comité de vigilance face aux usages publics de l'histoire ;

Laurence De Cock Présidente du collectif Aggiornamento histoire-géographie ;

Didier Demazière Président de l'Association française de sociologie ;

Julien Fretel Président de l'Association des enseignants et chercheurs en science politique ;

Marjorie Galy Présidente de l'Association des professeurs de sciences économiques et sociales ;

Françoise Lafaye Présidente de l'Association française d'ethnologie et d'anthropologie ;

Margaret Maruani Présidente du Réseau de recherche international et pluridisciplinaire « Marché du travail et genre » ;

Nonna Mayer Présidente de l'Association française de science politique ;

Julien O'Miel Président de l'Association nationale des candidats aux métiers de la science politique ;

André Orléan Président de l'Association française d'économie politique;

Laurent Willemez Président de l'Association des sociologues enseignants du supérieur.