La sélection n'est pas la solution
En soutien et accompagnement aux mobilisations qui se font jour, l'ASES a adopté le texte suivant que nous souhaitons diffuser le plus massivement possible avec le plus grand nombre de signatures possible - signatures collectives : associations, syndicats, groupes et collectifs, UFR, laboratoires, départements etc. - et individuelles dans un second temps sous forme de pétition sur Change.org. Nous souhaitons envoyer ce texte-pétition le 1er janvier à toutes nos tutelles et administrations : Présidences d'universités, Ministères, Député-e-s etc et en assurer la visibilité nationale par la presse.
Nous pensons que sous couvert d'une "réforme de détail et de bon sens", c'est bien la sélection qui va se mettre en place : c'est donc un enjeu de société majeur, ne nous y trompons pas. Si ce texte reçoit votre soutien et que la pétition prend de l'ampleur, nous appellerons alors à des AG dans chaque université de France dans la première quinzaine de janvier (avant en tout cas que les référentiels soient renvoyés au Ministère, et pourquoi pas une grande journée nationale de mobilisation?), jour de la remise officielle des référentiels au MESR, jour qu'il faudrait banaliser donc afin d'assurer des AG d'ampleur. Ces AG marqueraient alors un temps fort de mobilisation et de contestation qui en appellera d'autres, espérons-le.
Nous savons que tout texte est imparfait, c'est sans doute le cas de celui-ci mais le temps presse et nous devons agir, maintenant. Un mois pour signer massivement, des temps forts de mobilisation pour dire notre refus de cette réforme scandaleuse dans son principe même.
Nous vous demandons votre soutien afin de signer et faire signer massivement. Adressez vos signatures d'organisations, collectifs etc. à : contactases@gmail.com
Bien à vous,
Le CA de l'ASES
La sélection n'est pas la solution
Quels que soient les euphémismes dont on la pare (« prérequis », « attendus »...), la nouvelle grande réforme de l’ESR projetée n’est autre qu’une sélection pure et simple qui frappera en premier lieu les élèves des classes populaires et petites classes moyennes en leur interdisant à plus ou moins brève échéance d’aller à l’université dans la filière de leur choix après le baccalauréat. Quelle est-elle concrètement ? Ni plus ni moins que la suppression de la liberté de s’inscrire dans l’établissement de son choix pour les lycéen-ne-s, ainsi que le conditionnement de leur inscription à l’examen de leur dossier («cohérence» du «projet de formation », de ses acquis et ses « compétences » avec les caractéristiques de la formation ; sélection des dossiers au regard d’une liste de critères établie par filière disciplinaire au niveau national et déclinée localement, imposant certains contenus de formation aux admis-es sous condition ; imposition d’une orientation aux étudiant-e-s dont les choix n’auraient pas pu être satisfaits). Comment parler de « choix » des lycéen-nes quand ceux-ci seront soumis aux décisions des universités ?Cette sélection à l’entrée de l’Université prend appui sur une sélection sociale déjà à l’œuvre depuis le collège et le lycée et dans un contexte d’augmentation des effectifs étudiants dans le supérieur. Tel.le bachelier-e pourra se prévaloir de la bonne option disponible dans les seuls lycées prestigieux pour candidater à telle licence ultra-sélective, tel autre bénéficiera des moyens mis à disposition tout au long de sa carrière scolaire pour améliorer sa « stratégie de placement », tel autre en restera exclu. Moins brutale et moins visible que l’augmentation drastique des droits d’inscription (comme a été le cas au Québec, cf. le « Printemps Érable »), semblant répondre au désarroi et à l’épuisement bien réels d’un grand nombre d’enseignant-e-s chercheur-e-s n’en pouvant plus de jongler avec la pénurie de moyens, les gels de postes et le sous-encadrement chronique, l’alourdissement intolérable des charges administratives et autres, cette réforme n’en constitue pas moins une régression sociale, politique, intellectuelle sans précédent. Dans un pays qui s’enorgueillit de sa culture multi-séculaire, de ses valeurs démocratiques et demeure tout de même la cinquième puissance économique mondiale, il n’y aurait donc plus moyen d’avoir un enseignement supérieur public de qualité, pour toutes et tous.
Quelques rappels et quelques solutions s’imposent pourtant.
1/ La sélection existe déjà ! Classes préparatoires aux Grandes Ecoles, filières sélectives (avec ou sans numerus clausus), établissements privés et payants... on ne peut guère prétendre que la sélection n’existe pas déjà et qu’elle n’entérine pas avant tout des inégalités sociales et/ou économiques. Pour rappel, en 2014, les enfants d’ouvriers représentent 6 % des effectifs de Classes Préparatoires aux Grandes Ecoles (MENESR, 2014)
2/ L’argent n’est pas le problème ! Qu’il s’agisse d’alimenter des politiques de primes de plus en plus souvent individualisées, des chaires de toutes natures dites parfois « d’excellence », des statuts dérogatoires et protégés ou encore le Crédit Impôt Recherche cadeau fiscal représentant la bagatelle de 5,5 milliards d’euros en 2017... l’argent alors ne manque pas. S’il a été retiré depuis des années de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche public, c’est un choix politique, non une nécessité budgétaire.
3/ Les élèves issus des milieux les moins favorisés n’ont pas à en faire les frais ! Ces choix politiques – paupérisation et précarisation – n’ont fait qu’aggraver la situation et décourager bien souvent les enseignant-e-s chercheur-e-s, mais ce n’est pas aux élèves les plus modestes d’en faire les frais et de devoir renoncer à leurs études car ce sont elles et eux principalement qui seront les perdant-e-s de cette réforme.
4/ Le diplôme protège du chômage et les métiers font de plus en plus souvent appel à des qualifications élevées: interdire l’accès à l’université, c’est condamner les jeunes à des situations professionnelles peu enviables, aucune perspective d’avancement, sans même parler des effets délétères sur la formation à la citoyenneté dont nos démocraties ont un besoin impératif.
Des solutions existentdéjà et passent par l’instauration d’une première année de remise à niveau en lien avec le cursus concerné si nécessaire ou l’obligation de suivre des enseignements supplémentaires au tronc commun. Plutôt que d’éliminer les étudiants, c’est sur les modalités précises (financements, postes dédiés, moyens...) de ces remises à niveau et des enseignements nécessaires qu’il faut prendre appui. A titre d’exemples, il apparait nécessaire de :
1/ Créer ou développer des enseignements permettant aux élèves les plus en difficulté de suivre correctement leur cursus :
- Maîtrise de l’écrit et de l’oral (par l’entrainement régulier à la dissertation, à la rédaction de synthèses, résumés, plans, à la présentation d’exposés...)
- Culture générale en proposant ou en imposant selon les cas des enseignements par exemple d’histoire contemporaine de la France (au moins la 5è République voire le 20è siècle), d’histoire de l’Europe et des relations internationales d’un point de vue politique, social, économique... ou encore des enseignements de base en lien avec le cursus envisagé: culture économique, science politique (fonctionnements des institutions, etc.), statistiques...
- Obligation de lire régulièrement des textes essentiels pour la discipline concernée et de les présenter oralement.
2/ Embaucher massivement dans l’ESR sur des postes de fonctionnaires, stables et pérennes, des enseignant-e-s chercheur-e-s susceptibles de faire ces cours et de répondre aux besoins et au suivi d’une population étudiante en augmentation. Le nombre impressionnant de docteur-e-s sans poste serait déjà un vivier considérable. Des enseignant-e-s chercheur-e-s avec des statuts identifiés et des conditions de travail de qualité (contrats de travail, rémunération...) doivent aussi être recruté-e-s en grand nombre.
Parler d’un « Plan Etudiants » qui ne soit pas purement et simplement de la sélection des plus modestes, qui fasse honneur à un pays riche économiquement et culturellement, revient à mettre fin à la paupérisation des universités publiques d’une part (par la redistribution des moyens évoqués plus haut par exemple) et à la précarisation insupportable des enseignant-e-s chercheur-e-s d’autre part.
C’est cela, la véritable démocratisation scolaire en acte, et ce n’est ni impossible ni utopique.