Le harcèlement sexuel dans l’enseignement supérieur et la recherche est l’affaire de tou.te.s.

Par Clasches

Ces dernières années, la question du harcèlement sexuel dans les établissements d’enseignement supérieur et de recherche bénéficie d’une certaine visibilité : la révocation de la fonction publique et la condamnation pénale d’un chercheur de l’INRA en 2014 ont été largement médiatisées ; la politique d’égalité des sexes du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche intègre la lutte contre les violences sexistes et sexuelles depuis 2012 ; des chargé.e.s de mission égalité des universités s’emparent de cette question et organisent des formations ; le CNRS a organisé une journée de sensibilisation de ses personnels en 2014 ; des associations étudiantes et des syndicats d’étudiant.e.s et de personnels diffusent de l’information ; en 2015, le Conseil scientifique du CNRS et la 19ème section du CNU ont voté des motions invitant les établissements à conduire une politique de lutte contre le harcèlement sexuel. Ces initiatives rappellent que le harcèlement sexuel, dans l’enseignement supérieur et la recherche (ESR) comme ailleurs, est une réalité qui s’inscrit d’abord dans les rapports de genre. Il est une forme spécifique de violences que subissent principalement les femmes et dont les auteurs sont quasi-uniquement des hommes. De ce point de vue, le harcèlement sexuel contribue au maintien de la domination structurelle des hommes sur les femmes dans les établissements d’ESR comme dans le reste de la société1 en empêchant, par exemple, des femmes de mener leurs études jusqu’à leur terme ou de poursuivre leurs carrières.

 

Qu’est-ce que le harcèlement sexuel ?

La loi du 6 août 2012 a introduit une nouvelle définition du harcèlement sexuel dans le Code pénal (art. 222-33), le Code du travail (art. L1153-1) et le Statut général des fonctionnaires (loi n° 83-634 du 13/07/1983, art. 6-ter), explicitée par la circulaire de la Chancellerie du 7 août 2012.

Le harcèlement sexuel est ainsi défini comme tout comportement (propos, gestes, écrits…) à connotation sexuelle imposé à une personne de manière répétée (au moins deux fois). Le refus de la victime n’a pas à être explicite, mais peut « résulter du contexte dans lequel les faits ont été commis, un faisceau d’indices pouvant ainsi conduire le juge à retenir une situation objective d’absence de consentement » (Circulaire du 7 août 2012). Pour être considérés comme du harcèlement sexuel, il faut par ailleurs que les comportements portent atteinte à la dignité de la personne (comme les « propos ou comportements ouvertement sexistes, grivois, obscènes ») ou créer une situation qui « rend insupportable les conditions de vie, de travail ou d’hébergement » (Circulaire du 7 août 2012).

Par ailleurs, est assimilé au harcèlement sexuel le fait de faire pression, même une seule fois, sur une personne dans le but réel ou supposé d’obtenir des actes sexuels. C’est ce qu’il est couramment appelé « chantage sexuel » : imposition d’actes sexuels en échange d’un emploi, d’une promotion, d’un maintien d’avantages ou au contraire pour éviter des sanctions.

 

Ces différents exemples participent à briser le silence qui entoure la question du harcèlement sexuel, et plus largement des violences sexuelles, dans l’ESR et que le CLASCHES, Collectif de lutte anti-sexiste contre le harcèlement sexuel dans l’enseignement supérieur et la recherche, dénonce depuis près de 15 ans. Les actions du CLASCHES auprès des pouvoirs publics, des établissements, des chargé.e.s de mission égalité, des associations et syndicats de l’ESR, des médias et de l’ensemble de la communauté scientifique ont largement contribué à visibiliser cette question. En effet, l’association, composée d’étudiant.e.s, de doctorant.e.s et de personnels de l’ESR, agit pour briser le tabou qui entoure le harcèlement sexuel dans l’ESR : en 2014, un guide pratique a été publié (en version électronique2 puis en version papier) ; chaque année le CLASCHES fait des interventions et formations dans toute la France et répond aux sollicitations des medias ; prochainement, une campagne nationale d’affichage sera lancée. Le CLASCHES milite également pour que de véritables politiques de prévention, d’accompagnement des victimes et de sanctions des auteurs soient mises en place en interpellant régulièrement les pouvoirs publics et les établissements.

 

Le harcèlement sexuel dans l’ESR : quelles réalités ?

Il n’existe aucune étude statistique sur les violences sexuelles dans l’enseignement supérieur et la recherche. Si cette absence de chiffres empêche de quantifier avec précision le phénomène, il ne fait pourtant aucun doute que l’ESR n’est pas épargné par le harcèlement sexuel et, plus largement par les violences sexistes et sexuelles. D’une part, les enquêtes sur les violences faites aux femmes, comme l’ENVEFF (Enquête nationale sur les violences envers les femmes en France3), montrent que ces violences se retrouvent dans tous les milieux sociaux et dans tous les espaces privés comme publics. Plus largement, aucun élément ne permet de laisser penser que l’ESR serait un lieu différent de l’ensemble des espaces professionnels.

D’autre part, l’activité de l’association permet de dessiner les contours de la réalité du harcèlement sexuel dans l’ESR : loin d’être exceptionnel ou relevant de « faits isolés », les témoignages montrent d’abord que le harcèlement sexuel est une réalité de (presque) tous les établissements (universités, écoles, organismes de recherche, établissement public ou privé, etc.). De plus, lorsqu’une victime dénonce un agresseur, on constate bien souvent que d’autres victimes osent parler et/ou que des personnels et/ou étudiant-e-s reconnaissent avoir eu connaissance de faits plus anciens. Ce processus quasi-systématique de libération de la parole souligne combien le harcèlement sexuel dans l’ESR est bien une réalité tragiquement rendue invisible par le silence qui l’entoure.

 

Ce travail militant de sensibilisation, de formation et d’interpellation du CLASCHES a permis de rendre plus visibles des situations que tout le monde s’efforçait de ne pas voir. Il reste cependant encore beaucoup à faire : d’abord, tout indique que de nombreuses situations de harcèlement sexuel ne sont pas dénoncées par les victimes, faute d’interlocuteurs.trices de confiance identifié.e.s ; ensuite les témoignages reçus par le CLASCHES font apparaître de nombreux dysfonctionnements dans les établissements, la priorité étant encore bien souvent d’« étouffer l’affaire » ; de même, les procédures disciplinaires restent profondément injustes et inefficaces pour sanctionner les auteurs de violences sexuelles ; enfin, les dénonciations font trop souvent face à l’intérieur des établissements à une grande méconnaissance des réalités du harcèlement sexuel et des procédures à engager.

 

Pour ces raisons, la lutte contre le harcèlement sexuel dans l’ESR doit être l’affaire de toute la communauté universitaire, de chacun et chacune d’entre nous. Il s’agit d’abord de participer à l’instauration d’un environnement d’études et de travail propice à la libération de la parole des victimes. Dans ce sens, la diffusion et la mise à disposition de l’information sont indispensables, que ce soit par l’intermédiaire du site internet, du livret étudiant ou du dossier d’accueil des personnels, par la diffusion du guide du CLASCHES et de la campagne d’affichage à venir, ou encore par la visibilisation des sanctions prises par les établissements. Cette implication de tou.te.s passe également par la formation, pour comprendre la dimension structurelle des violences sexistes et sexuelles qui sont liées aux rapports sociaux de sexe, mais aussi de classe, de sexualité, de nationalité ou encore de race, ainsi que pour connaître les procédures administratives à disposition et savoir réagir face aux dénonciations. Vous pouvez enfin soutenir le CLASCHES, en adhérant, en publicisant ses activités ou en le rejoignant !

 

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1 Pour des données chiffrées sur les inégalités femmes-hommes dans l’ESR, voir http://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/Charte_egalite_femmes_hommes/90/6/Chiffres_parite_couv_vdef_239906.pdf.Pour une analyse de ces inégalités, voir Coline Cardi, Delphine Naudier et Geneviève Pruvost, « Les rapports sociaux de sexe à l’université : au coeur d’une triple dénégation », L’Homme et la société, 158, 2005, p. 49-71.

2 http://www.clasches.fr/sites/clasches.fr/files/clasches_guide-harcelement-sexuel-2014_web-bd.pdf

3 Maryse Jaspard et al., Les violences envers les femmes en France. Une enquête nationale, La Documentation française, 2003.