Les risques de la future réforme du bac et du lycée (Faïza Zeroula, Médiapart)
© Ministère de l'éducation nationale
Le ministre de l’éducation nationale veut rénover le bac et, par ricochet, le lycée, d’ici à 2021. Plusieurs pistes sont envisagées. Il veut laisser davantage de liberté à l’élève pour fabriquer son propre parcours. Mais certains enseignants craignent de voir leur matière se dévaloriser et des cursus à double vitesse se créer.
Pour le moment, le projet de la mission Mathiot, censé proposer des pistes pour simplifier le baccalauréat, n’est pas d’une limpidité folle. L’universitaire missionné par Jean-Michel Blanquer a réalisé depuis trois mois une centaine d’entretiens avec différents acteurs de la communauté éducative afin de déterminer la meilleure voie à emprunter pour dépoussiérer l’examen bicentenaire, selon la volonté ministérielle et présidentielle (lire son rapport en intégralité ici).
Sur cette base, se dessine en réalité une refonte plus prononcée et complexe du lycée (lire notre article). « Rien n'est acté aujourd'hui », a promis le ministre de l'éducation Jean-Michel Blanquer lors d'une conférence de presse organisée le 24 janvier, jour de la remise officielle de ce rapport. « C’est une réforme attendue par les lycéens et la société », a martelé le ministre, promettant « une modernisation » de l’examen.
Pour Michel Fize, sociologue de l’éducation, plutôt partisan d’une suppression totale du bac, « le plus tôt sera le mieux ». Il considère que le ministre fait preuve de « lâcheté politique » en refusant de mettre fin, une bonne fois pour toutes, à cet examen, devenu selon lui « un rituel républicain jugé indépassable ». Il ne trouve que des défauts au baccalauréat qui est ici, dit-il, simplement vidé de sa substance. La part belle donnée à l’écrit favorise à ses yeux le bachotage. Sa notation est sujette à caution car elle l’objet de « tripatouillages » et d’harmonisation des notes qui le dévalorisent. Michel Fize estime que « la suppression du bac » doit être le « préalable pour réforme de notre système. Car les parents y pensent depuis la maternelle ».
La mise en œuvre de la réforme complète est prévue pour 2021. Jusque-là, quelques changements « minimes » auront lieu. Dès la rentrée 2018 d’abord, les élèves de seconde passeront un « test de positionnement », sur ordinateur, destiné à évaluer leur expression écrite et orale en français afin de déceler d’éventuelles lacunes. Des évaluations similaires ont déjà été mises en place à l’entrée du CP et de la 6e depuis la rentrée 2017.
L’accent sera aussi mis sur leur orientation, sujet désormais crucial sur lequel le ministre de l’éducation nationale veut insister, en articulation avec son homologue en charge de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal. L’objectif de cette réforme étant de mettre fin aux 60 % d’échec en première année de licence, même si ce chiffre est à prendre avec des pincettes puisqu’il ne dit rien des réorientations réussies.
En tout cas, tout dans cette réforme, toujours à prendre au conditionnel, démontre cette volonté de créer une continuité entre le lycée et l’enseignement supérieur. Par exemple, 75 % des matières seront intégrées dans Parcoursup, sauf la philosophie et le grand oral, alors qu’actuellement, le baccalauréat n’a aucun poids dans le choix des études et dans l’affectation.
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Pierre Mathiot propose encore de créer un supplément au diplôme. Il s'agirait ainsi de valoriser des engagements associatifs ou la pratique d'une langue étrangère, autant d'atouts qui seront ensuite pris en compte dans Parcoursup, où un C.V. est réclamé aux élèves. Ceux-ci étant alors âgés de 17 ou 18 ans, difficile d’imaginer qu’il sera très garni.
Sans compter que ceux qui viennent de milieux sociaux fragiles n’auront pas forcément de cours de saxophone, de piano ou des séjours linguistiques à inscrire. Claire Guéville, responsable des questions liées au lycée au Snes-FSU, le premier syndicat du secondaire, déplore ainsi que, dans l'accès au supérieur, l’accent soit mis sur le portefeuille de compétences plus que sur le baccalauréat. Elle craint que l’examen ne devienne qu’un « accessoire ».
Jean-Michel Blanquer va saisir le Conseil supérieur des programmes afin d’avoir son avis sur l’un des risques pointés par les associations disciplinaires, qui craignent une mise en concurrence des matières induite par la future réforme. Le tout dans un calendrier contraint. Il doit trancher le 14 février, jour où il présentera l’architecture de la réforme telle qu’il l’a choisie. Dans l’intervalle, il aura consulté les syndicats, dans le cadre d’une concertation éclair de trois semaines. Reste à savoir si ceux-ci vont avoir une marge de négociation ou ce que le ministre va choisir de conserver de ce rapport purement consultatif.
Le principe d’introduire du contrôle continu dans l'examen, dans une proportion de 40 %, semble acté. Emmanuel Macron, alors candidat, avait plaidé en faveur d’un examen resserré autour de quatre matières. Dans son livre programme, L’École de demain, paru fin 2016, Jean-Michel Blanquer avait déjà pensé les réformes nécessaires du lycée et du baccalauréat. « Il est important tout à la fois de simplifier le bac et de renforcer sa structure, en valorisant une base fondamentale de disciplines, qui traduisent la quête d’excellence de chaque filière, tout en assurant une grande liberté de choix aux élèves. » Le bac comporterait quatre matières en contrôle terminal et une évaluation en contrôle continu. « En réduisant le nombre d’épreuves, on revalorisera l’examen (…)afin de répondre efficacement aux exigences de l’enseignement supérieur », écrivait encore celui qui n’était pas encore aux manettes.
Il évoquait aussi la possibilité de créer un lycée modulaire avec un tronc commun et des matières de spécialité en première et terminale. Tout est donc là. Le ministre de l’éducation nationale n’est pas le premier à avoir l’ambition de modifier l’examen (l’historien de l’éducation Claude Lelièvre en fait le recensement ici). François Fillon, en 2005, avait songé à réduire le nombre d’épreuves. Il y avait renoncé à la suite de mobilisations massives de lycéens. En 2008, Xavier Darcos a trébuché sur le même obstacle. En 2010, Luc Chatel – Blanquer était alors son directeur général de l’enseignement scolaire – avait réformé le lycée en touchant à la marge au baccalauréat. L’épreuve d’histoire-géographie avait été déplacée de la terminale à la classe de première, pour les élèves de la filière S, afin de les laisser se concentrer sur les épreuves scientifiques. La gauche, de nouveau au pouvoir en 2012, était revenue sur ce changement.
La crainte d'une usine à gaz
Dans le baccalauréat version Blanquer, une nouveauté pourrait aussi faire son apparition : un grand oral, passé en juin, devant trois examinateurs durant une demi-heure. Claude Lelièvre rappelle aussi que cela n’a rien de nouveau et que Jean-Michel Blanquer serait un « illusionniste » s’il faisait croire le contraire : à l’origine, le bac, créé en 1808, comportait des oraux couplés à des écrits.
En revanche, ce type d’examen nécessite d’être préparé en amont et peut être discriminant socialement. Certains élèves peuvent aussi être pénalisés sur la base de critères totalement arbitraires comme leur apparence ou leur absence d’aisance naturelle.
La voie professionnelle devant faire l’objet de sa propre réforme, plus vaste et spécifique, c’est pour les voies générale et technologique que les cartes seront vraiment rebattues : il s’agira pour les lycéens de pouvoir imaginer leur parcours individuel seuls, hors du cadre des filières (S, L, ES), qui disparaissent. Ils devront puiser dans un tronc commun auquel seront couplées des matières à choisir. Pierre Mathiot écrit dans son rapport qu’il convient « d'assumer pleinement le fait de former des élèves qui soient de “vrais” scientifiques, technologues, littéraires, spécialistes des sciences sociales ». Une hyperspécialisation qui serait inédite mais figerait les destins scolaires très tôt et compromettrait le droit à l'erreur.
Avec la meilleure volonté du monde, difficile de ne pas imaginer que ce lycée personnalisé, presque à la carte, ne va pas se transformer en une gigantesque usine à gaz. Des soucis organisationnels vont forcément poindre. Les disciplines vont se trouver en concurrence et hiérarchisées. Chacun voudra assurer la « survie » de sa matière et qu’elle soit inscrite parmi les disciplines phares, ne serait-ce que pour des raisons de prestige. Les professeurs dont les matières ne seraient pas dans les « majeures » redoutent de perdre des heures d’enseignement. Ces disciplines devront être attractives, disposer de suffisamment de professeurs.
Marie Duru-Bellat, sociologue de l’éducation, n’est pas opposée dans l'absolu à ce système à la carte. Elle explique néanmoins qu’un tel système nécessite de guider les jeunes. « Tout tient à l’exécution de la réforme. Si on les laisse seuls avec un unique entretien d’orientation, ce sera un échec. Il faut une information personnalisée. Je ne sais pas si on peut par ailleurs renforcer les inégalités car elles sont déjà bien ancrées. »
L’offre va-t-elle être identique partout ? Y a-t-il réellement un risque de rupture d’égalité ? Le rapport suggère que les établissements pourraient se constituer en réseaux dans le cas où « un lycée n'est pas en mesure de proposer seul [certaines disciplines], faute d'enseignants spécialistes, de capacité d'encadrement ou d'un nombre suffisant d'élèves ». Ces derniers pourraient ainsi naviguer d'un établissement à un autre pour suivre leur scolarité. Autant d’éléments qui sont loin de rassurer les enseignants, inquiets d’un tel bouleversement.
L’historien de l’éducation Claude Lelièvre comprend la circonspection de certains enseignants si cette réforme était mise en œuvre. « Les professeurs seront placés dans l’incertitude s’il y a concurrence entre eux. Pour des raisons concrètes, et non de l’ordre des principes, ils regardent tout cela avec méfiance. C’est un bouleversement potentiel, qui va demander forcément une plus grande implication. Ils seront encore plus impliqués dans la gestion des différents types de formation. » Il souligne aussi la lourdeur administrative qui pourrait leur incomber. Certains craignent que les professeurs ne se transforment en conseillers d’orientation permanents.
Par ailleurs, l’un des points les plus épineux soulevés par le rapport Mathiot concerne les heures effectuées par les enseignants. Le système, toujours en vigueur, date de 1950 et a été légèrement ajusté par Vincent Peillon en 2014. Le principe est simple. Les professeurs reçoivent un emploi du temps en début d'année, qui bouge très peu au long des 36 semaines de l’année. Un certifié doit effectuer 18 heures hebdomadaires de service, un agrégé 15 heures. L’universitaire propose d’assouplir ce cadre puisqu’il souhaiterait diviser l’année en deux semestres. Et permettre aux élèves de changer de discipline mineure et majeure. Ce qui introduirait une variation des heures de services. Les enseignants et leurs syndicats sont défavorables à cette annualisation qui induirait selon eux une charge de travail supplémentaire et une désorganisation dans leur temps de travail et leur vie privée. La Cour des comptes, fin 2017, avait de son côté plaidé en faveur de cette mesure pour résoudre les problèmes de remplacements et permettre aux enseignants de s’adapter aux besoins des élèves. Impossible à ce stade de savoir si Jean-Michel Blanquer va oser franchir le gué.
Claire Guéville, du Snes-FSU, estime pour sa part qu’« il n’est pas acceptable de vouloir organiser le lycée sous la forme d’une petite université avec des unités d’enseignement. C’est une antichambre de la sélection dans le supérieur », critique-t-elle. « C’est un système pour initiés », craint-elle, car certains sauront choisir les options idoines, les bonnes combinaisons, le bon lycée pour pouvoir obtenir la filière de leur choix à l’université. « Il y aura des établissements relégués », pronostique Claire Guéville.
La latitude qui serait octroyée aux élèves de changer l’une des deux « majeures » entre la première et la terminale, entre deux semestres, puisque l’année scolaire sera désormais découpée en deux, risque aussi de soulever les inquiétudes. Ne serait-ce que pour la discontinuité des enseignants qu’elle engendre, avec un effet zapping difficile à gérer pour les équipes, attachées à la continuité pédagogique.
Déjà, des enseignants de SVT ont protesté dans une tribune. Tout comme ceux de sciences économiques et sociales. Tous craignent une marginalisation de leurs disciplines dans le parcours scolaire des jeunes gens. Ils expliquent vouloir conserver l’idée d’avoir un socle commun, une culture générale, et non pas d’envisager l’école sous un prisme purement utilitariste. Claude Lelièvre confirme qu’« il y aura des inégalités de fait entre les disciplines et les professeurs. […] l’idée d’un diplôme maison est fausse mais c’est ce qui est agité par certains syndicats pour faire descendre les lycéens dans la rue, ce qui est un danger ». Selon la théorie éprouvée du tube de dentifrice – une fois les jeunes sortis dans la rue, impossible de les faire rentrer –, tous les ministres de la rue de Grenelle craignent de déclencher un mouvement de jeunesse.
[[lire_aussi]]La question du contrôle continu est elle aussi hypersensible. Pour que ce mode d’évaluation soit efficace, il faudrait, selon Michel Fize, ne pas faire noter par le professeur de la classe mais donner également les copies à un autre professeur. Et encore mieux, à un enseignant d’un autre établissement afin d’avoir un double regard et de ne pas faire dépendre la valeur du diplôme de la réputation du lycée dans lequel le futur bachelier a effectué sa scolarité. Il n'adhère pas à l’idée selon laquelle certains professeurs seraient enclins à juger leurs élèves « à la tête du client ». La sociologue de l’éducation Marie Duru-Bellat estime de son côté qu’il est indispensable de conserver quelques épreuves nationales en contrôle terminal, car une note n’a pas la même valeur selon l’établissement d’où elle émane, à cause de ces hiérarchies implicites entre lycées.
Claire Guéville s'insurge contre la philosophie générale de la réforme. Elle considère qu’ainsi, l’État ne souhaite plus insuffler aux élèves une culture commune mais individuelle. Chacun voudra construire son propre parcours, dans une ambiance concurrentielle détestable.
Sans compter qu’à son sens, l'autonomie accordée à ces adolescents de 15 ans est illusoire. « Chacun est conditionné par son milieu social et son environnement culturel. L’institution elle-même engendre cette absence de liberté de choix. » En clair, les stratégies scolaires maîtrisées par les familles les plus favorisées vont encore avoir plus d'importance.
Il y a trois mois, interrogé par Mediapart, Tristan Poullaouec, sociologue de l’éducation à l’université de Nantes et membre du Groupe de recherche sur la démocratisation scolaire (GRDS), craignait qu’avec ce lycée nouvelle formule, on ne parvienne pas à s’attaquer aux inégalités qui rongent l’école française. « On donne plus de choix (apparent) aux élèves et aux familles. Ce sont des choix faciles pour ceux qui ont le plus réussi socialement et le mieux réussi scolairement. Les autres s’adaptent selon ce qu’ils jugent raisonnable. Les élèves ont de toute façon bien intériorisé la hiérarchie entre les séries et les destins scolaires anticipés pour eux par l'institution scolaire. Les inégalités, qui existent déjà, vont se renforcer avec des filières plus élitistes et une offre différenciée d’un lycée à un autre. »
Tout serait une question de mesure. « L’individualisation n’est pas stupide mais il faut bien gérer cela et ne pas aller trop loin. » À cet âge, explique Marie Duru-Bellat, il ne faut pas mettre une pression démesurée sur les lycéens à propos de leur orientation. Ils apprécient surtout de retrouver leurs amis chaque jour en classe. Le reste est presque superfétatoire. « Ils sont déjà assez anxieux avec tout ce qu’on leur demande ! » D'ores et déjà, un appel à la grève est lancé pour les 1er et 6 février par le syndicat majoritaire de l'enseignement secondaire.
A lire ici : https://www.mediapart.fr/journal/france/260118/les-risques-de-la-future-reforme-du-bac-et-du-lycee