Lettre ouverte à un apprenti président

Lettre ouverte à un apprenti, qui veut devenir président Tu es jeune, tu as les dents longues, le monde libéral est riche de « potentiel » et tu veux être « président » ? C’est la moindre des choses. Je te propose, pour entrer dans la carrière de président de quoi que ce soit (peu importe, au fond), de commencer par un lieu où tu pourras pratiquer les mêmes recettes de prise de pouvoir que partout ailleurs, mais où tu ne rencontreras pas trop de résistance. Soit donc ce « lieu de convivialité » qu’est l’université, une « maison », sympa, avec ses « priorisations » que sont les « partenaires », les « ressources », « la mobilité à l’international » et la « fête des personnels ». Pour devenir président, pas de problème : rentre dans l’institution, humblement, sens le vent, fais-toi connaître, montre-toi ici dans l’opposition (pas trop), là dans la gouvernance (un peu plus), entoure-toi de collègues dont tu te feras des amis et que tu feras recruter, de sorte qu’ils te seront redevables, prends ta carte dans tel parti politique bien placé, deviens un passemuraille qui soit au mieux avec chacun. Et gravis les échelons : responsable pédagogique, puis élu dans une instance consultative, puis dans une instance décisionnaire, puis directeur de laboratoire, directeur de composante… et enfin le graal, non plus directeur mais « président » – président de l’université ! Cela aura été vite, plus vite que tu ne l’aurais cru ? C’est que les caméléons se déplacent vite, tu sais ! Mais si, « vite », grâce au paysage, qui leur permet de se fondre et de progresser, invisibles, irrésistibles dans leur ascension vers le pouvoir. Mais moi, je vais trop vite. J’ai oublié de t’expliquer comment on est « élu » président. C’est simple. « Imagine », « Demain », des élections aux conseils centraux : ta liste crypto-libérale réactionnaire d’enseignants recueille 40-45% des voix. Comme le législateur, très bon, très sage, a tout bien pensé dans les moindres détails, la loi ESR de 2013 a maintenu le système de « proportionnelle » de la loi LRU de 2007 : ta liste arrivée en tête (appelons-la Réagir) se retrouvera disposer de la majorité (60%) des sièges enseignants. Voilà comment on crée de la majorité absolue, alors que face aux autres listes, tu étais minoritaire. Dans un tel système de déviance électorale, aucune crainte à avoir : le confort du résultat dans un décor démocratique ! Tu crains que ta majorité ne soit pas assez légitime ? Allons, rassure-toi : personne ne se souciera plus de ces détails ni n’aura l’idée de les contester, ne serait-ce que parce que tes prédécesseurs auront profité du système et auront tous eu l’idée simple de rappeler régulièrement qu’ils s’appuyaient sur une majorité « démocratiquement » acquise. Bien sûr, « ce n’est pas si simple » et il y peut bien toujours y avoir de ces petits gauchistes – dont tu as peutêtre été dans ta coupable ou stratégique jeunesse – qui te reprocheront de profiter de l’aubaine LRU de tripatouillage réglementaire des résultats électoraux pour exercer un pouvoir écrasant. Mais sois sûr que leurs reproches ne sont que du dépit et que s’ils prenaient le pouvoir, ils feraient comme toi. Comme toi, c’est-à-dire : - ignorance de l’opposition : pourquoi lui répondre ? c’est tellement plus commode et efficace pour l’empêcher d’exister que de la laisser brailler dans le vide ; - jeu du respect de la « consultation » et de la « concertation » : AG d’information, messages réguliers, consultation des instances… ; - multiplication des « commissions », que tu nommeras « groupes de travail » pour bien noyer le poisson et rappeler qu’il faut travailler. Ils feraient comme toi ou même, peut-être, mieux que toi : rencontres multiples avec leurs opposants, auxquels ils n’accorderaient ce faisant qu’une attention enjouée, « sincère », polie, un tantinet teintée d’indifférence, voire d’ennui – qu’il est long, le temps à devoir accorder au peuple pour ne pas passer pour un tyran ! Mais en même temps, ce temps perdu, tu sais qu’on le rattrape dans l’instance décisionnaire du CA : quelle satisfaction, alors, de pouvoir passer outre l’avis de ces raseurs qui prétendent être « représentatifs » ! Là encore, je vais trop vite. Pour bien te faire comprendre comment être un président légitime et respecté, faisant toujours passer l’orientation que TU as décidée pour l’avis de tous, je vais partir d’un exemple a priori insoutenable, celui d’une restructuration et de son cortèges de mesures libérales. Dans ce cas, tout le monde est contre toi et tu ne saurais faire admettre ta position ? Eh bien, voici comment tu peux gagner sans coup férir. Premier obstacle à résoudre, l’opposition syndicale du Comité Technique. Ce n’est même pas un obstacle : l’avis de cette instance (« peuplée » de BIATSS) est consultatif, tu peux le négliger. « Quand même, t’exclames-tu, le comité, aux élections professionnelles, il a recueilli 50% de suffrages de plus que ma liste d’enseignants ! Le négliger, ça va être dur à faire admettre ». Je te dis que ce n’est pas un problème : en démocratie, qui va jamais recompter le nombre de voix recueillies pour mesurer l’empan du socle de représentativité d’un élu ? « Bon, d’accord, mais n’empêche : si 75% de mon CT dit « non » à mon projet, qu’est-ce que je fais ? ». Eh bien, tu… respectes la loi ! Laquelle t’oblige à consulter le CT mais ne t’oblige pas à respecter son avis, je te l’ai déjà dit. « Et si mon CT est unanimement contre ? ». Là, c’est plus chiant : tu as l’obligation de reconsulter le CT mais, quel que soit son avis, même s’il reste négatif, tu te seras acquitté de la redevance démocratique : écouter les représentants des personnels. Mais comme je te l’écrivais plus haut, ensuite, avec ton CA, tu « reprends la main » et tu peux décider de représenter les seuls intérêts économiques : point final. Je veux bien te concéder une chose : par précaution, tu peux avoir pris soin, préalablement, de dire que tu voulais « relancer le dialogue avec les syndicats » mais que cela « ne veut pas dire cogestion ni donner satisfaction aux organisations syndicales » [la « cogestion » comme accompagnement des syndicats par le patronat, même le MÉDEF te féliciterait de cette trouvaille !], car tu dois « tenir compte des rapports de force » [on reviendra sur cette idée, centrale, un peu plus bas : l’important, c’est que tu poses tout le temps des jalons confortant ta « légimité » par une « bonne foi » qui crève les yeux…]. Plus généralement, tu peux aussi avoir pris soin de placer ta décision inopportune en fin d’année universitaire, ou pendant les cours et examens. Ou, mieux, tu auras trouvé à alourdir le quotidien de tes personnels par divers problèmes (manque de moyens matériels et humains, drache serrée de tâches administratives toujours plus inutiles), afin de détourner leur attention de ce qui se trame vraiment et qui ne concerne leur avenir que très lointain. Comme tu es plutôt bonhomme aux yeux de tes collègues et que tu ne pratiques pas une politique de bonne femme, tu vas cependant t’adresser à tes personnels pour les « apaiser ». Il s’agit, par une bonne mise en scène du politique, de faire durablement accepter « ta » décision « démocratique » par la communauté, en lui expliquant pourquoi ton CA et toi avez voté pour une décision hostile aux personnels et à la fonction publique. Comment vas-tu te justifier ? Là encore, c’est d’une grande simplicité. Tu commenceras par louer l’oligarchie, en soulignant que la présidence est sacrément soudée : « il y a peut-être eu des tensions dans l’équipe, c’est inévitable en démocratie, mais l’essentiel, affirmeras-tu sans vergogne, car il faut te montrer fier et convaincu de ce que tu vas dire (ce qui compte, ce n’est pas d’être cohérent idéologiquement, mais d’occuper martialement le terrain de la communication), l’essentiel, donc, c’est l’équipe qui se trouve bien où elle est, comme elle est et qui a su préserver son unité » – ce douillet « vivre ensemble » aussi appelé « entre-soi ». Ensuite, tu gratifieras la communauté de ces « éléments de langage » que tu auras soin de prodiguer durant tout ton mandat, ces mots qui servent ta cause et desservent celle de l’université publique. Tu cacheras donc ton jeu politicien décomplexé derrière un discours creux que ne comprendront même pas ceux qui prétendent combattre l’orientation libérale mais qui vont t’applaudir, sans même voir à quel point tu les nargues. Ces mots creux que tu t’efforceras de tous placer dans tes discours, les voici : « structure », « renforcement », « international », « visibilité », « coordination », « émergence », « dynamique » (mais « partagée », tu ne forces personne !), « avancées », « développement », « devenir », « exigences » (mais « fortes », à l’image de ta vision d’avenir), « projets », « initiatives », « réorganisation », « transformation », « orientations » (mais « grandes », car tu n’es pas devenu président pour te contenter de réformer petitement). À ce stade de gavage pro-actif, même l’IGAENR en repousserait son assiette. Mais ce n’est pas suffisant : tu n’oublieras pas, surtout, de justifier les implications de ton choix. Tu es un gouvernant, tu diriges d’une main de fer dans un gant de velours mais tu veux bien te plier au jeu démocratique et rendre des comptes, en expliquant pourquoi tu fais ce que tu fais. « Mais alors, je vais vendre la mèche ? C’est pas un peu risqué ? » t’étonnes-tu. Mais pas du tout, ne sois pas bête. Tu vas leur dire ceci, à tes collègues : « Je vais vous dire, chers collègues, ce qui a guidé mon choix. Il ne s’agit pas de s’engager précipitamment et irréversiblement dans un processus de restructuration des établissements du site sans garde-fous sur le devenir des agents et tout le bataclan (enseignement, recherche…). Il ne s’agit pas non plus de vendre notre établissement et de vider nos instances élues [ici, ne rigole pas trop : c’est sérieux, tu t’adresses au peuple qui croit aux élections] de la possibilité et du pouvoir de décider de notre avenir [dis bien « notre » : toi tu penseras à ta personne souveraine ; le peuple, lui, il croira que tu parles de lui et que tu condescends à l’associer à ta décision – ne néglige pas ce petit possessif qui sied si bien aux possédants]. » À ce stade, tu n’as habilement rien lâché : tu n’as absolument rien dit, puisque ces deux phrases négatives t’évitent d’exposer les raisons de ton choix. « Mais alors, le lecteur va s’apercevoir de la supercherie ! Et d’autant plus que, dans mon texte, j’ai supprimé toute référence aux « étudiants » et à « l’enseignement » (remplacé par « formation », plus propice aux ouvertures sur le privé), ce qui va finir par mettre la puce à l’oreille de tout un chacun : ne sommes-nous pas à l’université, lieu des esprits éclairés ? ». Je te rassure : il te suffit d’une dernière phrase bien sentie pour réconforter les plus récalcitrants. Une phrase positive, cette fois, qui va asséner la raison de ton choix : « La décision du Conseil d’administration valide la participation de notre université au projet IDEX-PIRE. » Il en fallait du souffle pour en arriver là, n’est-ce pas ? Je sens encore que tu t’inquiètes : « Mais enfin, c’est idiot ! Je ne dis absolument RIEN, là ! La raison de mon choix décisionnaire, c’est d’avoir voté !? La belle affaire ! C’est tout ce que je peux avancer pour me justifier ? Une telle circularité va mettre toute l’université dans la rue, je vais me faire débarquer par mon propre CA ! Il y a des intellectuels à l’université, ils vont finir par comprendre ». Ta crainte est vaine et tu le sais bien : d’abord, plus c’est gros, plus ça passe, et ta dernière phrase est une connerie. Ensuite, tu auras eu soin préalablement de resserrer les rangs autour de toi et jamais ton CA ne te débarquera, pas plus que ses élus ne démissionneront en masse : la loi est bien faite et l’intérêt individuel reste une cheville puissante de la vie démocratique. Tiens, je te rappelle cette autre ficelle, bien grosse mais qui passera à ce titre : à ceux qui s’offusqueront de ton choix, ressers-leur l’argument démocratique… de l’équipe présidentielle soudée malgré l’adversité de la « crise », en soulignant que la vraie grande victoire, c’est d’être restés unis, face au vote protestataire. Attention, c’est à manier avec prudence, cet argument-là : on aurait vite fait de te rembarrer avec l’image d’une présidence murée dans son « château » ou son « bunker », coupée de la base qu’elle est censée représenter, infidèle à ses engagements de campagne. Donc, accompagne ta rhétorique délicate d’une empathie forte et virile avec ceux qui vont couler par le fond dans la tempête et assure-leur, dans une envolée finale, que : « Je sais pouvoir compter sur votre implication mais aussi sur votre vigilance et votre regard critique pour que le projet, blabla, respect, valeurs, fierté, rayonnement, servitude volontaire, exigences, missions, blablabla, avec la plus grande attention au devenir de l’ensemble des personnels » [devenir dont tu n’as pas la plus traître idée mais ça ne coûte rien de manier de grandes phrases creuses, différées dans un avenir lointain]. Et s’il reste des esprits forts pour résister à cette rhétorique pleine de vent ? Alors, le service communication peut encore te fournir des arguments forts. Par exemple, la « valeur » travail : dis aux personnels que tu « travailles énormément » ; bien sûr, un trader travaille aussi beaucoup et le travail ne suffit pas à légitimer ce qu’on fait mais tu seras soutenu par les flemmards, mal placés pour te critiquer, comme par les aliénés du travail. Ou encore, l’argument du réformisme : « j’adhère aux réformes mais je vous le dis, c’est pour mieux les contrecarrer » [ici, un contact auprès de Notat, Chérèque ou Le Paon te permettra de peaufiner ton discours]. Un autre argument ? Aurais-tu peur qu’on voie clair dans ton jeu pour vouloir à ce point bétonner ton choix ? Bon, allez, je te donne celui-là, véritablement décisif : « Vous n’étiez pas nombreux, dans les AG d’information que j’ai organisées, à protester contre le projet de réforme, donc la majorité est pour ». Là, c’est cynique mais c’est imparable pour les crânes de piafs. Comme tu n’es pas politiste expert des mouvements sociaux, nul ne te reprochera de feindre d’ignorer que l’opposition progressiste ne s’est jamais construite avec une franche majorité ou d’ignorer que les opposants minoritaires sont tout de même des représentants syndicaux élus à la majorité. Et puis, tu le sais bien pour l’avoir vu pratiquer plusieurs fois, il n’y a rien de mieux pour discréditer un mouvement que de réduire les opposants – qui, par leur connaissance des enjeux, te coincent à chaque phrase – au rang de « groupuscule », pour que la majorité silencieuse adhère : entre les arguments logiques d’un « groupuscule », forcément dangereux, et la parole d’autorité du président, issu d’une majorité stable, aucun risque, tout le monde basculera dans ton camp. L’argument serait évidemment plus cynique à manier si tu étais, toi-même, issu d’un groupe d’opposants aux lois libérales depuis des années, et si tes soutiens eux-mêmes retournaient leur veste. Il reste un problème éventuel, quand tu dois faire passer un projet inique : c’est que l’opposition se manifeste ailleurs et vienne en retour te casser la baraque. (C’est déjà dur de gérer la valetaille locale, mais le prolétaire (BIATSS, enseignants contractuels ou vacataires, etc.), comme son nom l’indique, il prolifère dans les autres établissements et tout le monde n’a pas ton fin sens tactique pour juguler les républicains, démocrates et autres gauchistes). Ici, je requiers toute ton attention pour ce qui suit, car c’est compliqué comme la gouvernance d’un IDEX (ce pourquoi, à la fin, tu seras sûr que personne n’aura rien compris à l’entourloupe qui va suivre). Donc, imagine que le CA d’un autre établissement (appelons-le X2 : toi, tu diriges X1) se soit prononcé en premier et ait dit « non » alors que tu voudrais tant dire « oui » ; si toi et ton CA votez « oui », tu vas passer pour le lâcheur et dévoiler ton appartenance idéologique. Pour éviter ce « désagrément », aucun problème, la démocratie est bien faite pour se renier comme tu le fais toi-même chaque jour : il suffit donc que tu rendes visite, au Club des Patrons Unitaires, à ton copain de l’établissement X2. Et tu lui proposes ce new deal (LOL) : « Mon vieux, j’ai une combine d’enfer, qui va te tirer du mauvais pas où t’ont mis tes élus. Voici : toi, tu annonces que tu vas faire revoter ton CA pour obtenir un « oui » – ça va engendrer une petite bronca mais comme d’habitude, on va faire fissa entre des potes éclairés. Une fois que l’annonce du re-vote aura bien été diffusée dans les coulisses de X2, je ressors l’argument éculé aux élus du CA de mon établissement X1 : « Attention, X2 va revoter, et cette fois « pour » [là, je ferai état, « en off », du fait que je suis sûr que vous voterez pour, sondage à l’appui] ; mais si on vote contre, on sera isolés, or nous n’avons pas à être le porte-avions de la contestation [ici dramatisation « sincère » : bâtiments en ruine, fermeture des formations, fin des primes, etc.] ». Une fois que j’ai le « oui », renvoi d’ascenseur à X2 où tu peux dire aux élus de ton propre CA : « Attention, X1 qui était le seul à pouvoir voter « non » a voté « oui » ; si vous vous entêtez à voter « non », alors X2 sera isolé, or nous n’avons pas à être le porte-avions de la contestation [ici dramatisation « dévouée » : bâtiments en ruine, fermeture des formations, fin des primes, etc.] ». Comme je sais que tu aimes les schémas simplifiants, en voici un, qui illustre pleinement le concept managérial de « l’autonomie concertée d’intérêts privés interdépendants pour des bénéfices publics idexistants » (© Cabinet Tuyaudepoil) – qu’on connaît mieux sous le triplet intitulé « hyper-présidence, restructuration et privatisations en cours » : X1 oui X2 non tu vas revoter, « oui » ! ? LÉGENDE : X1 et X2, présidents ; « oui » et « non », fausse alternative pour un non-choix imposé non imposé ; les flèches représentent le chantage démocratique exercé régulièrement sur les « instances élues ». N. B. : par souci de simplification et de précaution, les pressions du ministère, du HCERES, de l’IGAENR, des grandes écoles, de la métropole, de la Région, du CNRS, des laboratoires pharmaceutiques… n’ont pas été représentées, afin que si ce schéma fuitait parmi les personnels, ceux-ci n’y voient que du feu, croyant que tout se joue dans la seule enceinte autonome des « instances élues ». (Ils comprendront bien assez vite ce qui les attend lors de la restructuration, inutile de les alerter !). As-tu encore des craintes ? Que tes successeurs ne poursuivent pas ta politique ? Impossible ! Les élections passent, l’esprit de gouvernance libérale demeure : dans le cas où une liste protestataire emporterait la présidence, les masques tomberaient vite et le relais libéral serait assuré sans faille par « el presidente de l’affront de gauche », adoptant sans ciller la logorrhée oratoire qui t’allait si bien. Une autre crainte ? Que dans un avenir lointain, lorsque l’établissement aura à voter définitivement la restructuration dévastatrice, les « instances élues » ne votent contre ? D’abord, n’oublie jamais qu’un comité technique, s’il venait à nouveau à s’opposer, ça se contourne « réglementairement » – il te faut juste l’avoir consulté pour être dans les clous. Ensuite, imagine la situation suivante : ton CA a voté « pour » un projet IDEX-PIRE du fait que, deux mois auparavant, sans consultation, tu as apposé ta signature avec d’autres copains du Club des Patrons Unitaires à un communiqué commun, et que les membres du CA ont senti que cette signature les engageait de fait et qu’ils pouvaient difficilement reculer à présent (surtout après tout le travail que tu as accompli – « oh là là, qu’est-ce que tu as travaillé ! »). Alors, vu le simple effet que peut avoir eu ta seule signature, imagine ce qu’il en sera, mettons trois ans plus tard, quand les agents auront passé des milliers d’heures à préparer une « hypothétique » restructuration de tous les services, composantes, formations, laboratoires… en vue de l’établissement fusionné. Crois-tu « sincèrement » qu’il y aura une seule voix pour refuser la mise en place de la nouvelle structure, ce qui reviendrait à revenir sur trois ans de travail ? Tu connais le dogme pragmatique de « l’irréversibilité » qui fait que la communauté moutonnière, effrayée, ne veut même plus entendre parler « d’abrogation » de la LRU (tu l’auras toi-même proscrite de tes engagements). Donc, il n’y a absolument aucun risque, te dis-je. D’autant que, du point de vue du pouvoir en place, la seule chose attendue de ton CA aura été qu’il donne un « oui » d’adhésion au projet, un blanc-seing de soumission qui autorise désormais toute la suite du processus de restructuration, fusion comprise. À ce stade, toi, président, tu auras fait ton devoir. Contente-toi de considérer qu’Ilion va brûler et ne cherche pas à en savoir plus. Ensuite, tu auras un poste haut placé, avec des primes cumulées, ce qui est bien normal : un cheval de Troie galope toujours loin dans la carrière.