Pendant que Parcoursup déraille, les établissements privés sont à la fête (Marianne)

Alors que la phase principale de Parcoursup vient de se terminer, les chiffres communiqués par le ministère de l'Enseignement supérieur révèlent que près de 180.000 étudiants ont quitté la plateforme depuis le mois de mars. Se seraient-ils tournés vers les formations privées ?

Par Antony Cortes

Le bilan n'est pas glorieux. Alors que Parcoursup vient d'en finir avec la phase principale d'admission, les chiffres communiqués par le ministère de l'Enseignement supérieur démontrent que la plateforme n'a pas vraiment été à la hauteur de l'enjeu. Le 5 septembre, sur 812.000 candidats à une poursuite d'études au mois de mars, ils étaient encore 113.062 bacheliers ou étudiants en réorientation à ne pas savoir où diable ils allaient étudier cette année… Où en sont-ils aujourd'hui ? Impossible de le savoir, le ministère ayant interrompu la communication de statistiques jusqu'au 21 septembre. Ce que l'on sait, c'est qu'en six mois, près de 180.000 jeunes ont quitté la plateforme sans que l'on connaisse leurs motivations. Soit un peu plus de 20% des personnes qui s'y étaient initialement inscrites sur la plateforme. Reste à retrouver leur trace… Ont-ils été poussés dans les bras des établissements privés, découragés par la lenteur du successeur d'APB ?

Augmentation des demandes d'inscription

"Dans l'enseignement supérieur privé, une tendance se dégage, explique à Marianne Christine Fourage, secrétaire générale de la SNPEFP-CGT. Très clairement, il y a eu une augmentation sensible des demandes d'inscription pour cette rentrée 2018… Que ce soit dans les écoles privées (d'ingénieurs, de commerce ou de management par exemple) ou dans les universités catholiques qui proposent quelques formations hors Parcoursup". Une affirmation qui se vérifie auprès des établissements qui veulent bien communiquer leurs chiffres.

Par exemple, l’École supérieure d'électronique de l'Ouest (Eseo) a enregistré bien plus de candidatures dans chacun de ses établissements cette année que l'an dernier. Et sans surprise, le nombre d'inscriptions enregistrées à l'approche de la rentrée a décollé. A Paris, les effectifs des classes de première année ont bondi de 20%, contre 27% à Dijon (Côte-d'Or) et 32% à Angers (Maine-et-Loire). Dans cette même ville, l'université catholique a eu à traiter 1.280 candidatures, contre 1.180 l'année précédente. "Il y a clairement un effet Parcoursup", commente la syndicaliste. Dans d'autres établissements, comme l'école Vidal de Toulouse (Midi-Pyrénées), qui propose une large gamme de BTS (commerce international, tourisme, assurance…), on assure avoir toujours "le nez dans l'enregistrement des chiffres""C'est trop tôt", répète-t-on pour repousser à plus tard la communication de données précises. Mais on le concède : "Nous accueillerons largement plus d'étudiants cette année que l'année passée".

Attendre ou se tourner vers le privé

Une tendance générale que confirme Patrick Roux, président de la Fédération nationale de l'enseignement privé (Fnep). Lui-même dirige trois établissements de l'école dentaire française, basés à Narbonne, Toulouse et Paris"Dans nos trois établissements, nous avons relevé une augmentation des inscriptions de 5 à 8 points, indique-t-il à MarianneNous n'avons pas encore de chiffres officiels au niveau national mais les échos vont pratiquement tous dans le même sens : nous assistons à une hausse globale plutôt spectaculaire."

 

Selon lui, plusieurs points peuvent expliquer ce phénomène. Les dysfonctionnements de la plateforme Parcoursup sont rapidement cités : "Dès le mois de juin, de nombreux étudiants ont connu une situation de blocage. Pour en sortir, deux choix se sont offerts à eux : attendre ou s'orienter vers le privé, où les places ne sont pas forcément comptées. Certains ont donc fait le choix de quitter le navire public, et on peut les comprendre". 

"C'est bon pour les affaires, moins pour les conditions d'étude des étudiants"

L'autre raison est à trouver dans la "lucidité" de ces futurs étudiants, explique le président de la Fnep, un brin provocateur : "Les gamins qui n'ont eu que des réponses négatives ne vont pas s'entêter à multiplier les démarches dans un circuit qui leur a fait passer le message qu'ils étaient indésirables !".

Un schéma qui s'applique particulièrement aux candidats de BTS, selon Françoise Lambert, secrétaire fédérale du Sgen-CFDT, syndicat de l'enseignement supérieur privé et public. "Les étudiants dont le projet professionnel est dessiné avec certitude et qui ne peuvent passer que par un seul BTS ne se posent pas mille questions, explique-t-elle à MarianneSi le diplôme qu'ils courtisent est inaccessible pour eux dans le public, ils iront l'obtenir dans le privé, à condition bien sûr d'en avoir les moyens. Ce qui élimine une grosse partie des bacheliers technologiques et professionnels qui, pour une bonne partie, sont issus de la classe populaire… Car pour trouver une place dans le privé, il suffit de payer : c'est la sélection par le chèque".

En 10 ans, 40% d'étudiants en plus dans le privé

Face à cet afflux, certains établissements auraient pris des dispositions pour pouvoir accueillir un maximum d'étudiants et ainsi profiter autant que possible de "l'effet Parcoursup". Comment ? En élargissant leur capacité officielle d'accueil sans forcément ouvrir de classes supplémentaires, rapporte Christine Fourage. "C'est bon pour les affaires… moins pour les conditions d'étude de ces étudiants", commente-t-elle. Ce serait par exemple le cas, selon elle, à l'université privée Léonard de Vinci de Courbevoie (Hauts-de-Seine), qui aurait vu le nombre de demandes d'inscription "exploser" à partir du mois de mai, au moment de l'envoi des premières réponses adressées aux étudiants sur Parcoursup. Aucune réponse ne nous a cependant été apportée par l'établissement.

Même si Parcoursup semble avoir jeté un certain nombre d'étudiants dans les bras de formations privées parfois très onéreuses, le plateforme n'a fait que renforcer une tendance qui n'est pas nouvelle. En effet, entre 2008 et 2017, les effectifs étudiants de l'enseignement supérieur privé avaient déjà augmenté de 40,2%, selon une note d'août 2018 du Système d'information et d'études statistiques (Sies), du ministère de l'Enseignement supérieur. "Depuis une décennie, nous assistons à un morcellement budgétaire de l'enseignement supérieur public qui permet au privé de prospérer, observe Françoise Lambert. D'autant que dans le même temps, les établissements privés jouissent d'un réseau de plus en plus fourni et assurent à leurs étudiants une insertion professionnelle pratiquement garantie… Parcoursup n'est qu'une grosse goutte d'eau".


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