Contrepoint - Les universités grecques comme espaces de luttes politiques

Par Modestos Siotos, doctorant en Science politique, Université Paris1 Panthéon-Sorbonne

Préambule

Le rôle de l’Université en tant qu’institution sociale avec des caractéristiques politiques est profondément enraciné dans la conscience collective de la société grecque. La prééminence des étudiants dans les luttes anti- dictatoriales en Grèce a donné aux universités grecques une position politique en relation dialectique avec la société. Après la chute de la junte en 1974, les universités grecques et le corps étudiant ont continué à être liés à la « lutte pour la démocratie ». Dans cet article, nous allons essayer de mettre en évidence quelques particularités des universités grecques qui les ont désignées comme espaces de politisation et production de pensée politique radicale. En mettant en perspective le mouvement étudiant qui a éclaté en 2006 et les émeutes de décembre 2008, nous allons essayer de montrer que les universités grecques sont encore des espaces de luttes politiques et des catalyseurs de politisation.

Une université en lien avec la société

Les universités en Grèce se caractérisent par une série de particularités qu’on ne peut trouver dans aucune autre université européenne. Leur caractère politique et leur statut symbolique comme espaces de défense des valeurs démocratiques en font un paradoxe par rapport aux universités européennes contemporaines. Contrairement à la majorité des universités d’Europe et du monde anglo- saxon, les universités grecques n’ont pas suivi la transformation néolibérale de l’éducation supérieure. Tout effort des gouvernements pour les réformer selon le modèle éducatif anglo-saxon a lamentablement échoué. Les réformes dictées par le processus de Bologne depuis 1999 (que l’État grec a signé) n’ont jamais servi de base pour la transformation – pédagogique et administrative – des universités grecques. L’Université grecque ne s’est pas ouverte au marché, ni n’a laissé la logique du marché influencer son évolution académique.
Le fait que le marché et sa logique n’ont jamais influencé l’évolution des universités en Grèce a eu des résultats négatifs notamment en ce qui concerne leur financement. En étant le seul bailleur de fonds des universités, l’État grec sous-finance systématiquement le domaine de l’éducation. Les dépenses pour l’éducation en Grèce s’élevaient à 4,1% du PIB en 2013, les troisièmes plus faibles de l’UE juste après celles de la Bulgarie (3,6%) et de la Slovaquie (4%). Il en résulte que les universités grecques demeurent obsolètes au niveau des infrastructures (bâtiments anciens, équipement dépassé, etc.), tandis que ses enseignants et chercheurs sont parmi les plus mal payés en Europe.
La non prise en compte de la logique du marché a affecté également leur organisation pédagogique. Le diplôme de licence en Grèce est obtenu en quatre années, les points ECTS (système européen de transfert et d’accumulation des crédits) n’existent quasiment pas et les cursus académiques, notamment en sciences humaines et sociales, restent très influencés par la théorie classique marxiste. L’ « intensification mantra de l’éducation supérieure néolibérale, est un sujet de plaisanterie (et de conflit entre ceux qui demandent une réforme » des études, le néolibérale » des universités et ceux qui s’y opposent). Les étudiants obtiennent
gratuitement un à trois livres pour chaque cours et conservent le droit de rester inscrits à vie dans la faculté même quand ils ne sont pas parvenus à réussir leur année académique. Ni les étudiants ni les enseignants ni même l’administration académique n’ont jamais essayé de créer des liens avec les acteurs du marché.

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Conséquence de son non-alignement avec la logique de marché, l’université en Grèce est restée ouverte sur la société grecque en défendant un ensemble de valeurs sociales et politiques. Contrairement à la logique dominante dans les pays développés de l’Occident, la connaissance acquise dans les universités grecques est considérée moins comme une formation technique ou un ensemble de compétences intellectuelles pour entrer sur le marché du travail, que comme une acquisition de valeurs sociales et de savoir sur des enjeux politiques. Cette conception de la connaissance académique se retrouve dans les consciences d’une grande partie des étudiants qui reçoivent une éducation qui les façonne moins comme de futurs travailleurs, mais plus comme des éléments politiquement intégrés dans la société. Le type de connaissances délivrées par l’université grecque est déterminé par les préoccupations critiques de ses étudiants, chercheurs et enseignants à travers la relation de l’université avec la science, le pouvoir politique et la société. En effet, l’affirmation que l’apprentissage est une valeur socio-politique a contribué à promouvoir la pensée critique qui n’est ni affectée par la logique de marché ni en corrélation avec elle. Elle tend à mettre les étudiants dans une logique constante de remise en question de la réalité sociale et politique. Dans ce processus le rôle des enseignants est extrêmement important. Un grand nombre d’entre eux, ayant été élevés dans l’esprit des auditoriums des années 1970 et 1980, voient encore l’université comme un lieu qui doit avant tout promouvoir la production de la réflexion critique. Dans une tradition marxiste ou post_marxiste, ils essaient de chercher la meilleure façon de fournir aux étudiants les outils intellectuels devant leur permettre d’agir dans la société comme des êtres ayant une conscience politique « polémique ».

Ces « particularités » de l’université grecque lui ont permis de devenir un « atelier » de production de pensée politique. La non diffusion de la logique du marché dans les structures universitaires, malgré les difficultés qu’elle engendre, a permis aux universités de sauvegarder leur rôle symbolique en tant qu’institution sociale aux prises avec les problèmes de la société. Dans ce cadre, la participation des étudiants à la vie politique des universités prend un caractère intense. Leur engagement dans le syndicalisme et leurs préoccupations autour des enjeux sociaux ont contribué à maintenir l’université en tant que champ social où les demandes et les inquiétudes de la société trouvent un terrain d’expression privilégié en se reflétant dans la vie universitaire. Dans ce processus, l’action politique des étudiants eux- mêmes joue un rôle clé.

Les étudiants grecs participent beaucoup plus à la vie politique des universités que leurs collègues européens. Au cœur de la vie politique universitaire se trouvent les groupes politiques étudiants qui, contrairement à la France, sont directement liés aux partis de la scène politique nationale. Traditionnellement, la gauche communiste-gauchiste est la force avant-gardiste, bien que depuis plus de deux décennies elle ne soit plus la force dominante dans l’ensemble du corps étudiant. Au milieu des années 1980, les groupes politiques de la gauche (on considère comme « gauche » ici la gauche communiste, réformiste et extra- parlementaire, mais pas la gauche social- démocrate) ont perdu leur rôle dominant au fur et à mesure que l’esprit du « mouvement étudiant de l’École polytechnique » entrait dans les poubelles de l’histoire. Depuis les élections étudiantes de 1985 les organisations politiques étudiantes de deux partis au pouvoir, à savoir le PASOK (Mouvement Socialiste Panhéllenique – sociale- démocrates) et la ND (Nouvelle démocratie – conservateurs), respectivement le PASP et le DAP, sont devenues les forces dirigeantes – mais pas dominantes – dans le corps syndical. Pendant la période 1985-2006, leur force syndicale et électorale leur a permis d’imposer leur propre logique et perception à travers le savoir-faire syndical étudiant. Il s’agit ici d’un savoir-faire marqué par la logique du clientélisme : le PASP et le DAP ont gagné des militants pendant les années 1980, 1990 et 2000 en offrant à leurs membres des rencontres personnelles avec de hauts dirigeants PASOK et ND, des ministres et des députés parlementaires. Dans ce climat clientéliste, la perspective d’une vie professionnelle politique est devenue une motivation irrésistible pour beaucoup de jeunes étudiants. L’histoire leur a donné raison. On ne compte plus le nombre de fonctionnaires, politiciens, députés parlementaires ou grands hommes d’affaire des années 1990 et 2000 dont le succès professionnel repose sur leur militantisme étudiant au sein du PASP ou du DAP. Néanmoins, comme nous le verrons ci- dessous, la tradition de l’insurrection de l’École Polytechnique ne s’est jamais perdue, et les factions de la gauche communiste et extra-parlementaire ont continué à jouer un rôle dynamique dans les espaces universitaires. Leur objectif stratégique habituel consistait à tenter de transformer ces derniers en une grande arène politique axée contre la domination des deux partis politiques au pouvoir.

Les universités comme espace de lutte politique

Au milieu des années 2000, après deux décennies au cours desquelles le PASP et le DAP ont déradicalisé le mouvement étudiant, l’université grecque a émergé à nouveau comme berceau de mouvements politiques. L’occasion qui a permis au mouvement étudiant de réapparaître fut la tentative du gouvernement conservateur de Kostas Karamanlis (ND) d’abolir le caractère public et gratuit de l’éducation supérieure. En 2006 le gouvernement de Karamanlis a en effet essayé de permettre l’établissement d’universités privées en révisant l’article 16 de la Constitution qui précisait que l’éducation supérieure devait avoir un caractère public et gratuit. Il a en outre proposé une loi qui alignait les universités grecques sur le processus de Bologne et prévoyait des mesures telles que la suppression des manuels scolaires gratuits, de l’asile universitaire, du droit des étudiants de participer aux élections du recteur, l’intensification des études, etc.
Bien que le gouvernement ait escompté des réactions du coté des étudiants et des enseignants, il ne s’était pas attendu à un tel front de résistance avec une vague d’occupation des facultés et des mobilisations de masse durant plusieurs mois (les plus massives depuis les années 1970). La mobilisation des étudiants d’une génération qui a grandi en démocratie a confirmé que l’université restait, malgré plusieurs années d’« engourdissement », un espace social névralgique. Lors des assemblées générales, les amphithéâtres ont été remplis d’étudiants dont la plupart n’avaient jamais participé à la vie politique de l’université. À l’avant-garde des mobilisations se trouvaient les factions de la gauche extra-parlementaire, les EAAK, et DIKTYO, le groupe politique d’étudiants de SYN / SYRIZA, du parti de la gauche radicale, les descendants de la gauche eurocommuniste. Pressé par l’ampleur des assemblées générales le groupe PKS du solide Parti communiste a décidé de soutenir le front de la gauche radicale, créant le noyau dur du mouvement étudiant émergeant. Pendant la première phase de protestations à l’été 2006, même le PASP a soutenu le front commun, bien que la Direction du parti fondateur « maison mère » c’est-à-dire le PASOK (en particulier son leader, George Papandreou) était en accord avec l’esprit des réformes. Le syndicat national des enseignants s’est associé à son tour à la grève en se rangeant aux côtés des étudiants. Ils ont été suivis par les élèves des lycées et leurs enseignants.
L’émergence soudaine du front étudiant peut s’expliquer par deux facteurs. D’abord, le caractère direct de l’offensive a fait craindre aux étudiants que les reformes ne dégradent immédiatement la qualité de leur enseignement. La perspective d’une dégradation directe et non réversible des droits des étudiant et la fondation simultanée des universités privées beaucoup mieux financées que les publiques ont mobilisé une génération d’étudiants (qu’on nommera ensuite la « génération des sept cents euros ») qui n’avait pas d’expérience politique préalable. Le gouvernement avait en face de lui une génération d’étudiants qui savait qu’elle allait connaître des conditions de vie plus mauvaises que la génération précédente et qui était consciente de l’état d’anomie durkheimienne où se trouvait la société.

Le second facteur qui a contribué à l’émergence spontanée du mouvement étudiant fut le renouvellement de la gauche étudiante selon le modèle et les valeurs idéologiques du Global Justice Mouvement et du Forum social européen. La gauche étudiante s’est unifiée autour de l’idée d’une gauche anti-néolibérale et anticapitaliste unifiée, dépassant les vieilles divisions de la gauche communiste et gauchiste. Enfin, la gauche et « la génération des sept cents euros » ont réussi à préciser leur ennemi idéologique et politique commun, à savoir les politiques néolibérales et les deux partis au pouvoir qui les mettent en œuvre.
Le « mouvement de l’article 16 » par son succès a obligé Papandreou et le PASOK à ne pas voter la révision de la Constitution. Or, sans les votes du PASOK la révision n’était pas possible. Il s’agit de la première grande défaite du gouvernement Karamanlis dont il ne s’est jamais remis complètement.
Les étudiants du « mouvement de l’article 16 » ont réussi à faire de leurs luttes le point de référence des mouvements sociaux anti-néolibéraux des années suivantes. Ils ont montré que l’Université en Grèce est une institution socio-politique bien enracinée dans les structures sociales et les consciences et constitue une institution organique avec une continuité dans le temps, capable de mobiliser ses membres pour protéger son intégrité structurelle. Cela apparaît clairement dans les références des étudiants aux mobilisations des étudiants de l’École Polytechnique (E.P.) pour la Démocratie en 1973, dans la continuité desquelles ils entendaient situer leur mouvement. Au-delà, ils considéraient leurs luttes pour la défense du caractère public et gratuit des universités comme inscrites dans le cadre de la tradition démocratique grecque.

Les émeutes de décembre 2008

Deux années plus tard les universités seront à nouveau l’épicentre « des plus violentes manifestations que le pays ait connues depuis 1944 », comme le prestigieux quotidien Kathimerini l’écrivait à l’époque. Pendant les émeutes de décembre 2008 (qui ont commencé avec l’assassinat de l’élève Alexis Grigoropoulos par un policier à Exarhia, le quartier « anarchiste » d’Athènes), l’université a confirmé son rôle comme espace de lutte politique dans la période ouverte par le mouvement étudiant de 2006. Bien que les étudiants n’aient pas été le noyau des mobilisations comme en 2006, les espaces universitaires ont constitué les centres des mobilisations. Depuis la première nuit d’émeutes, diverses facultés universitaires ont été occupées, non pas par le corps syndical des étudiants (à travers les lourdes procédures des assemblées générales), mais par les nombreux groupes anarchistes qui opéraient dans la société. Ces groupes ont vu dans les espaces universitaires les lieux idéaux, à la fois symboliquement et pratiquement, pour le genre de lutte violente qu’ils préparaient. Une loi sur l’asile universitaire, adoptée dans les premières années du nouveau régime démocratique comme réponse aux événements de l’École Polytechnique, interdit en effet aux forces de police d’envahir les campus universitaires sauf consentement du doyen. C’est seulement en de rares occasions depuis les années 1980 que la police a eu le feu vert pour entrer dans les universités. La violation de l’asile universitaire réveillait les réflexes démocratiques de la société grecque. Même quand, finalement, au cours des soulèvements de décembre 2008 quelques recteurs ont appelé la police pour envahir les bâtiments universitaires, le gouvernement n’a pas permis aux forces de police d’entrer dans les campus à cause de la foule qui y était rassemblée. Les images télévisées d’une intrusion policière dans les universités serait allées à l’encontre du caractère démocratique du gouvernement faisant suite à l’assassinat d’un élève. Les universités, en raison de leur tradition démocratique et de la protection symbolique et juridique offertes aux manifestants sont devenues les espaces privilégiés pour le déroulement de la nouvelle forme de lutte politique violente qui allait devenir la norme dans les années à venir.

L’héritage du mouvement étudiant de 2006-2008 et de décembre 2008

Après les émeutes de décembre 2008, le mouvement étudiant a commencé à fléchir. Durant les années suivantes, bien que les syndicats d’étudiants et les groupes des étudiants de gauche aient essayé de reconstruire des fronts solides et massifs contre le gouvernement, la dynamique de l’époque a été considérablement affaiblie. Toutefois, les deux mouvements avaient laissé un héritage important. Le mouvement de l’article 16 et les émeutes de décembre 2008 étaient la matrice des mobilisations contre l’austérité qui bouleverserait le pays pendant les années de la crise. Ils ont mis en évidence les mouvements sociaux anti-néolibéraux du pays comme un acteur politique central du pays avec une énorme résonance dans la société. Pendant les cinq années comprises entre 2009 et 2014 les mouvements contre l’austérité, ayant comme point de départ les luttes de 2006 et 2008, ont sensiblement augmenté leurs forces en orientant la colère de la partie la plus radicale de la société contre le système politique traditionnel et les deux partis au pouvoir. Les acteurs qui ont joué un rôle important dans les mobilisations de la période 2006-2008 ont sans aucun doute constitué le noyau dur des mobilisations des années qui ont suivi.
L’héritage des deux mouvements est également visible ailleurs. Ceux-ci ont en effet formé une nouvelle perception de la politique fondée sur la relation dialectique entre les partis politiques et les mouvements sociaux. Une des principales raisons pour lesquelles le mouvement de l’article 16 a été victorieux a été sa relation dialectique avec SYN/SYRIZA, le parti parlementaire de la gauche radicale, essentielle à la compréhension de la situation politique actuelle en Grèce, puisqu’elle a amené SYRIZA à l’aube d’être en mesure de saisir le pouvoir gouvernemental lors des élections législatives de 2012. Le SYN/SYRIZA s’est fait le porte-parole parlementaire et institutionnel des deux mouvements à l’époque, en promouvant leurs points de vue et en important leurs logiques et exigences au sein du Parlement. La nouvelle ligne du parti a pris forme à travers les liens stratégiques de SYN / SYRIZA avec les deux mouvements. Cette ligne directrice a été dictée par la nouvelle Direction du parti, encore plus militante, et incarnée par le vétéran communiste Alekos Alevanos à Bruxelles). Depuis 2006, SYRIZA s’est appuyé sur sa relation avec les mouvements sociaux du pays pour grandir électoralement, à travers les grèves de 2010, le mouvement des Indignés en 2011 et d’innombrables luttes locales menées sur tout le territoire grec contre divers projets
néolibéraux. Ce choix stratégique du parti l’a distingué des autres partis du système politique traditionnel avant et pendant la crise et l’a propulsé aux élections de 2012 de 4% à 27% (au cours des dernières élections européennes le SYRIZA est devenu le premier parti du pays).

Le rôle des universités dans la société

Les universités grecques jouent un rôle structurel crucial dans l’élaboration de la scène politique grecque. De 1973 jusqu’à aujourd’hui, leur rôle en tant qu’institution sociale dépasse largement leur dimension éducative. Leur non-alignement sur la logique du marché au cours des dernières décennies a contribué à reproduire un climat de forte politisation de la vie universitaire, qui avait ses racines dans les turbulences politiques des années 1970. La politisation massive des étudiants au moment du soulèvement de l’École polytechnique en 1973 persiste aujourd’hui : cette tradition de défense de valeurs sociales et politiques dans les universités grecques n’est pas sans lien avec le fait qu’elles sont restées à l’écart de la transformation néolibérale expérimentée par la majorité des universités européennes.

L’effondrement progressif dans le milieu des années 2000 des valeurs de l’époque qui a suivi la chute de la dictature a renouvelé la dynamique de politisation des universités. Les mobilisations de la « génération de sept cents euros » ont contribué à la confirmation du rôle diachronique de l’université comme espace de luttes politiques. Depuis 2010, l’université est devenue à nouveau un espace de conflit. Les deux partis de pouvoir dans le contexte des politiques néolibérales qui s’appliquaient plus généralement, ont continué à tenter d’imposer un concept de connaissance et d’apprentissage contre ceux défendus respectivement par les étudiants et les enseignants. Bien que les gouvernements de PASOK-ND aient réussi pendant l’époque de la crise à faire passer politiquement et juridiquement un certain nombre de réformes structurelles qui mettent les universités en orbite avec la logique néolibérale de l’éducation, leur application dans les universités a rencontré la résistance dynamique de la communauté académique, jusqu’à mettre en péril la vie universitaire. Les efforts continus du gouvernement pour réformer l’enseignement supérieur ont en effet entraîné la fermeture fréquente des universités en raison soit des grèves des enseignants et chercheurs qui réagissent aux licenciements et aux réductions de leurs salaires, soit des occupations des étudiants qui manifestent leur solidarité avec eux. Entre 2012 et 2014 les deux plus grandes universités dans le pays, l’Université d’Athènes et l’École Polytechnique d’Athènes n’ont ainsi pas fonctionné pendant environ onze mois.

Au cours des années de la crise, l’université va jusqu’à envisager sa fermeture parce qu’elle est le champ d’affrontements entre deux logiques différentes : d’un côté, celle du gouvernement qui essaie de façonner les universités en conformité avec les besoins et la logique du marché en continuant son sous-financement, en les privant des enseignants nécessaires à son bon fonctionnement et, de l’autre, celle des groupes sociaux et politiques qui résistent à la réalisation de ces politiques. Il s’agit de deux conceptions différentes du rôle de l’université dans la société et le type et du type d’éducation qu’elle doit offrir. Cet affrontement de logiques se cache derrière une bataille politique pour la gouvernance de la Grèce après la crise. Les protagonistes sont, ici aussi, d’un côté le gouvernement PASOK-ND et, de l’autre, le SYRIZA qui encapsule les exigences des forces et mouvements qui réagissent aux politiques néolibérales et mesures d’austérité.

Une telle situation rouvre le vieux débat, qui semblait clos, sur la relation entre l’université, la société et la politique en occident. Il ne faut pas ignorer que la crise en Grèce n’est pas seulement une crise socio- économique mais est aussi une crise des valeurs démocratiques. Dans ce cadre, les universités grecques condensent et amplifient les problèmes qui marquent aujourd’hui le champ politique. Contrairement à la perception dominante dans le monde entier qui voit les espaces universitaires comme politiquement neutres, comme des «écoles de la session de formation technique», les universités grecques montrent que l’institution universitaire est un organisme vivant qui ne peut qu’affecter et être affecté par ce qui se passe dans la société et la politique. Plus significativement, les universités grecques nous rappellent que le champ universitaire est un espace qui peut former des consciences politiques solides. Dans l’ère d’une crise pan- européenne des valeurs démocratiques, la situation dans les universités grecques donne une leçon importante pour ceux qui voient l’institution universitaire comme une organisation sociale susceptible de produire des pensées critiques.