Enseignement supérieur privé : interview de Catherine Paradeise

Professeur émérite à l'université Paris-Est-Marne-la-Vallée, Catherine Paradeise est fondatrice et présidente, jusqu'en 2012, de l'Institut francilien recherche innovation société.

Le monde, 24 juin 2013

Catherine Paradeise, que pensez-vous de l'irruption d'investisseurs dans le paysage français de l'enseignement supérieur ?

Je note que ces investisseurs visent des niches délaissées par l'enseignement public sur des nouveaux métiers, le Web et le numérique, ou traditionnellement privé, comme les écoles de management ou le paramédical. Mais, lorsque ces initiatives s'attaquent aux forteresses publiques, elles rencontrent de fortes résistances.

Témoin : la tentative de l'université privée portugaise Fernando-Pessoa, près de Toulon, qui a ouvert une formation de dentiste, a suscité une vigoureuse réaction du ministère de l'enseignement supérieur qui lui a interdit d'utiliser l'appellation "université" et a fait procéder à des enquêtes pour sa fermeture. On se rappelle la levée de boucliers face à la "fac Pasqua" à la Défense (Hauts-de-Seine), ce pôle Léonard-de-Vinci qui, finalement, se solde par un échec.

Cette tendance va-t-elle se confirmer, se développer ?

Oui, car il y a une vraie demande des familles, notamment modestes, pour qui le fait de payer est gage de qualité et de rigueur de la formation, comme pour les étudiants, si la promesse d'avoir, à la sortie, un meilleur job, plus intéressant et mieux rétribué, est tenue.

A l'inverse, la quasi-gratuité de l'université décrédibilise son enseignement aux yeux de ces familles. Mais modifier le montant des droits d'inscription, comme l'avait modestement proposé le club de réflexion Terra Nova - dont je fais partie - en suggérant de les porter à 500 euros par an, c'est se heurter à un tabou de la société, aux syndicats étudiants et enseignants qui refusent une telle hausse.

Le paradoxe demeure que les familles acceptent de payer cher pour des écoles privées mais veulent garder le choix d'envoyer leurs enfants à l'université quasi gratuitement.

Cette tendance à la hausse des coûts de formation à la charge des familles est-elle mondiale ?

Nous sommes à la veille d'une profonde mutation de l'enseignement que les trois auteurs britanniques Michael Barber, Katelyn Donnelly et Saad Rizvi préfigurent dans leur article "An avalanche is coming" ("une avalanche est à venir", Pearson, téléchargeable sur Internet).

Au Royaume-Uni, les frais de scolarité portés, en septembre 2012, à 9 000 livres sterling (10 556 euros) par an passent mal. Aux Etats-Unis, où ces frais sont bien plus élevés, la limite semble aussi atteinte car l'endettement des étudiants devient préoccupant, d'autant que la promesse d'un bon job s'effrite.

Les coûts d'enseignement augmentent beaucoup plus vite (+ 72 %, entre 2000 et 2010, aux Etats unis), tandis que les gains espérés par le diplôme ont, dans le même temps, baissé de 14,7 %.

Les revenus des classes moyennes stagnent. La multiplication des formations, y compris à distance, permet à tous de suivre des cours par e-learning et intensifie, en outre, la compétition mondiale entre universités. Cela peut conduire à une certaine spécialisation des universités. Celles orientées vers la recherche, une activité très coûteuse, vont poursuivre dans leur domaine d'excellence, tandis que d'autres abandonneront la recherche pour se concentrer sur la formation.

Pour le corps professoral, la même tendance est à l'oeuvre, entre ceux qui vont se consacrer à la recherche et à la publication, et les autres, cantonnés à la formation et à la transmission du savoir, avec des statuts parfois précaires.