Justice et liberté pour Pinar Selek (tribune de Jean Ziegler)
Carte blanche – Par Jean Ziegler, vice-président de la Commission des Droits de l’Homme à l’ONU
Pinar Selek, lors d’une manifestation à Nice en 2021. – Photonews
Il est vraiment inquiétant de voir comment une intellectuelle peut être arbitrairement accusée en Turquie d’avoir perpétré un attentat et se trouver ainsi transformée en une dangereuse terroriste qu’il faut emprisonner sans plus attendre. C’est ce qui arrive aujourd’hui à la sociologue, écrivaine franco-turque Pinar Selek, à tort accusée en 1998 suite à l’explosion d’une bonbonne de gaz au marché aux épices d’Istanbul et emprisonnée pendant plus de deux ans dans les geôles turques, avant d’être libérée et acquittée par quatre fois, lors de jugements intervenus en 2006, 2008, 2011 et 2014, suite à l’appel systématique du Procureur qui refuse aujourd’hui encore de reconnaître son innocence. À lire aussi Des opposants au président turc accusés «de provocation à la haine»
Face à cet acharnement politico-judiciaire à l’encontre d’une écrivaine, maudite par le gouvernement de son pays natal en raison des recherches sociologiques qui gênent le pouvoir turc, on ne peut pas se taire. Le travail et l’engagement solidaire de cette militante féministe et antimilitariste porte sur tout ce qu’Erdogan fustige et déteste : les Kurdes, les Arménien-ne-s, les personnes LGBT, les objecteurs de conscience, les enfants à la rue, les prostituées, les femmes victimes de violences sexistes et sexuelles…
Des méthodes brutales pour faire taire les opposants au régime
Neuf ans après le quatrième acquittement, on voit une fois de plus les plus hautes instances judiciaires aux ordres de ce pouvoir dictatorial qui cherche par tous les moyens à renforcer son assise nationaliste à la veille des prochaines élections. Le pouvoir turc applique sans retenue ses méthodes brutales pour réduire au silence tous les opposant-e-s et porter des accusations de terrorisme à tout va pour mettre en prison celles et ceux qui ne lui plaisent pas.
La liberté d’opinion et d’expression est remise en cause de manière alarmante en Turquie. Les espaces où elle peut s’exercer se réduisent chaque jour. L’indépendance de la justice
subit le même sort. Le mandat d’arrêt international lancé le 6 janvier 2023 par le Tribunal criminel d’Istanbul avec une demande d’emprisonnement avant l’audience qu’il a lui-même fixée au 31 mars 2023 s’inscrit dans un contexte de répression qui vise toutes les personnes qui défendent la démocratie et l’Etat de droit. Pinar Selek devient ainsi un symbole de la mise en cause des libertés de penser, de s’exprimer et d’agir, qui sont au fondement même de la démocratie. À lire aussi Turquie: Erdogan confirme sa candidature à la présidentielle de juin 2023
Défendre les démocraties vivantes
Quand il en va des libertés d’expression et d’opinion, toutes celles et ceux qui sont en situation de pouvoir se faire entendre doivent donner de la voix. L’extension du domaine de la liberté est à ce prix. Si nous parvenons à faire que nos voix traversent les murs des tribunaux turcs, alors nous aurons porté notre pierre à l’édifice des libertés démocratiques.
Mais au-delà de cette lutte pour la défense d’une démocratie vivante, c’est aussi Pinar Selek comme femme, comme chercheuse, écrivaine, sociologue et militante que je soutiens. Je salue son courage et sa force inouïe que rien ne brise et demande, comme tout-e-s les démocrates qui la soutiennent, que cesse enfin cet acharnement judiciaire à son encontre et que le 31 mars 2023 elle soit définitivement et pleinement acquittée.
https://www.lesoir.be/501090/article/2023-03-15/justice-et-liberte-pour-pinar-selek