La question des inégalités sociales au coeur de la réforme de l'université
Alors que le texte devait être voté mardi, l'opposition de gauche critique la « sélection sur dossier » des futurs étudiants
Séverin Graveleau et Camille Stromboni
La démocratisation de l'enseignement supérieur n'est pas encore achevée, loin s'en faut », martelait, le 12 décembre, la ministre de l'enseignement supérieur, Frédérique Vidal, devant les députés, pour défendre l'urgence de son projet de loi « orientation et réussite des étudiants », qui devait être voté mardi 19 décembre par l'Assemblée nationale.
Pour l'opposition de gauche, elle risque encore moins de l'être. Lors des débats, elle n'a cessé de mettre en avant le risque de voir se « conforter les inégalités sociales » avec cette « sélection sur dossier . De fait, la problématique de l'ouverture sociale monopolise une grande partie des débats autour de ces nouvelles règles d'accès en licence, qui mettent fin au tirage au sort au profit d'un examen des profils des lycéens, pour les départager lorsque les places manquent, ou les orienter vers des parcours de remise à niveau.
Au ministère de l'enseignement supérieur, on souligne avant tout les faiblesses du système actuel, « extrêmement inégalitaire, il mène à la sélection par l'échec car les "attendus" [compétences nécessaires pour réussir en licence] existent de fait, mais ce sont aujourd'hui des non-dits . Si les sociologues critiquent depuis longtemps les limites du système actuel, où les inégalités sociales ne font que s'accroître du collège à l'enseignement supérieur, celui à venir est loin de faire l'unanimité. Particulièrement en ce qui concerne l'étude des dossiers des lycéens en fonction des compétences attendues, telle l'aptitude à la logique et au raisonnement, le niveau en langue vivante, l'intérêt pour la démarche scientifique...
« Sur quels critères les universitaires vont-ils s'appuyer pour mesurer ces compétences très générales?, interroge Annabelle Allouch, maître de conférences de sociologie à l'université de Picardie Jules-Verne. Face au nombre de candidatures [à examiner], au manque de temps et de moyens, ce sont les notes du lycée qui vont être le plus simple à utiliser. Or, elles illustrent avant tout les origines sociales et l'inégalité des élèves dans le rapport au savoir et dans le jugement scolaire. » Il existe pourtant des critères moins discriminants, observe Sophie Orange, sociologue à l'université de Nantes. « Plutôt que de chercher à vérifier qu'un élève est brillant à partir d'une note, certains jurys de BTS s'intéressent à son caractère sérieux durant sa scolarité, à partir des appréciations de ses enseignants et de la progression de ses notes. »
« Marqueurs sociaux »
Sur la plate-forme Parcoursup, qui succède à celle d'Admission post bac (APB), les lycéens auront également la possibilité de faire valoir leurs activités extrascolaires. Jobs d'été, engagements humanitaires ou associatifs, activités culturelles ou sportives... sont autant de « marqueurs sociaux », complète la maître de conférences nantaise. Une autre interrogation porte sur l'orientation dès le lycée : la volonté de « responsabiliser » le choix des candidats avec plus d'informations sur les attendus des filières, leurs taux de réussite ou d'insertion professionnelle,présuppose que « les jeunes de 17-18 ans sont tous des êtres rationnels, capables de peser facilement le pour et le contre,souligne Agnès Van Zanten, directrice de recherche Sciences Po-CNRS. Or,c'est dans les familles et dans les lycées favorisés que les jeunes sont le plus accompagnés pour décrypter ces informations, être stratégique et avoir une orientation ambitieuse .
Pour François Vatin, professeur de sociologie à Nanterre, les inquiétudes sur ce nouveau mode d'accès à la fac ne doivent pas faire oublier la « grande hypocrisie » du système actuel. « Arrêtons d'expliquer que mettre un filtre nouveau serait socialement excluant. » Aujourd'hui, « la sélection sociale est déjà là, selon lui. On encourage un public qui n'a aucune chance d'y réussir à rejoindre la fac et les formations universitaires sont de moins en moins valorisées par rapport aux filières sélectives (prépas, IUT, écoles). Les jeunes d'origine modeste sont donc orientés vers des filières de second choix. »
Le sociologue craint que « les inégalités entre établissements sur le territoire, notamment entre Paris centre, sa périphérie et la province, ne [s'accroissent] . En clair, les établissements les plus demandés risquent d'effectuer une sélection des meilleurs profils, quand les autres n'auront pas le choix de ceux qu'ils accueillent. Mais selon François Vatin, le problème est ailleurs : « On fait jouer depuis trop longtemps un rôle social à l'université qui ne peut être le sien : plutôt que d'encourager un public qui n'a pas de désir d'études immédiat à s'y inscrire, par mimétisme ou pour des questions de statut et de bourse, il est urgent de mener une véritable politique sociale pour la jeunesse. »