Laure Pitti (enseignant-chercheur) : “Le texte va dans le sens d’une aggravation de la LRU”

Laure Pitti, maître de conférences en sociologie à l’université Paris 8, s’inquiète de la dégradation des conditions de travail dans les universités et ne voit pas comment le projet de loi va y remédier.

A lire sur EducPros : http://www.letudiant.fr/educpros/enquetes/le-projet-de-loi-esr-face-aux-attentes-des-acteurs-du-superieur/laure-pitti-enseignant-chercheur-le-texte-va-dans-le-sens-d-une-aggravation-de-la-lru.html

“J’ai du mal à voir des éléments positifs dans ce texte. Je suis, à l’inverse, très inquiète. J’étais mobilisée en 2009 contre le projet de Valérie Pécresse et je pensais que le gouvernement actuel viendrait le modifier en profondeur. Au contraire, ce texte va dans le sens d’une aggravation de la loi LRU.

Il ne tient pas compte de la réalité de l’université. Il ne parle même pas de la précarité criante dans nos établissements – c’est un point qui me met particulièrement en colère quand on voit que ce sont les précaires qui font tourner les facs et les labos ! Enfin, il reverse une fois encore les problèmes de budget sur les universités, qui sont en train de mourir à cause du manque de moyens...

Je suis enseignant-chercheur dans une université de banlieue et, depuis l’autonomie de gestion des universités, la situation est devenue catastrophique, avec les gels de postes. Ce qui signifie concrètement que le nombre d’étudiants en TD augmente, tout comme le temps consacré aux tâches administratives, faute de personnels suffisants. On s’occupe des inscriptions pédagogiques ou de la gestion des problèmes engendrés par nos logiciels défaillants. Notre possibilité de faire des brochures de TD est de plus en plus limitée, les bâtiments se dégradent.

Mon quotidien de chercheuse, il ressemble de plus en plus à une bataille pour recueillir des moyens afin de pouvoir poursuivre mes recherches

Quand je souhaite financer un stage de terrain pour mes étudiants, ce qui doit faire partie de leur cursus et coûte environ 2.000 € pour 12 étudiants, je suis obligée de battre la campagne pendant des semaines pour rapporter des taxes d’apprentissage vers mon UFR.

En dix ans d’enseignement, j’ai vu l’université changer. Quant à mon quotidien de chercheuse, il ressemble de plus en plus à une bataille pour recueillir des moyens afin de pouvoir poursuivre mes recherches... Il faut arrêter le jeu de dupes, la gestion des moyens doit revenir à l’État. Il faut également revenir sur la modulation des services, qui veut que certains soient plus enseignants, d’autres plus chercheurs, alors que, le plus souvent, ce n’est pas un choix.

S’ajoutent dans le texte une régionalisation renforcée, avec les communautés scientifiques par site, et la fin de l’habilitation nationale des diplômes au profit de l’accréditation des établissements. Quand on voit qu’un rapport IGAENR préconise à l’université du Havre de fermer sa filière AES, alors qu’elle conservera ses formations courtes professionnalisantes... Les disparités entre universités vont augmenter. Les exigences de contenu pour un diplôme ne seront plus les mêmes d’un établissement à l’autre. Même avec le ‘cadrage national des diplômes’ inscrit dans la loi, qui reste une coquille vide.

Enfin, sur la question de la démocratie, le texte prévoit que les conseils d’administration des communautés comptent moins de 50 % d’élus !”

Propos recueillis par Camille Stromboni | Publié le 19.03.2013 à 12H26, mis à jour le 19.03.2013 à 12H27