Liberté de recherche et protection des données - L'ASES interpelle le ministère

La protection accordée aux journalistes doit être étendue aux chercheurs et aux enseignants-chercheurs.

Paris, le 9 mai 2016

À Monsieur le premier ministre, Monsieur le Garde des Sceaux, Madame la ministre de l’Education nationale et de l’enseignement supérieur et de la recherche, Monsieur le secrétaire d’Etat à l’enseignement supérieur et à la recherche, Madame la Ministre, Monsieur le premier Ministre, Monsieur le Garde des Sceaux, Monsieur le Secrétaire d’État,

Dans le double contexte de l’état d’urgence, décrété le 19 novembre 2015, à la suite des dramatiques tueries de Paris et Saint-Denis, et récemment prolongé par le Parlement, et d’un vide juridique concernant notre profession dans ses spécificités, nous souhaitons attirer votre attention sur la question des libertés universitaires en sciences sociales.

Notre activité professionnelle de recherche nous amène en effet à récolter des données parfois “sensibles”, par le biais de méthodes scientifiques dûment éprouvées (entretiens qualitatifs et observation participante par immersion dans certains groupes sociaux), notamment lorsque nous enquêtons auprès de délinquant.e.s, de criminel.le.s, de militant.e.s de certains partis politiques ou de religieux….

Nos protocoles de recherche ne peuvent être mis en place que si l’anonymat et la confidentialité des données sont assurées : c’est la condition pour que les personnes auprès desquelles une enquête est menée, nous accordent la confiance nécessaire.

Aussi, la possibilité que nos matériaux d’enquête soient saisis dans le cadre des perquisitions permises par l’état d’urgence ou que le chercheur soit suspecté comme l’a été en mars 2002 notre collègue Thierry Dominici, entravent gravement l’exercice même de notre profession de sociologue, d’anthropologue, de politiste ou d’historien.

Ces formes de contrôle de la recherche sont incompatibles avec d’autres injonctions qui nous sont faites :

- depuis 2013 (et la loi du 22 juillet, dite “loi Fioraso”), il nous est expressément demandé de participer davantage à une meilleure compréhension du monde social (le “transfert des résultats de la recherche et de sa valorisation” à la société est désormais inscrit dans la loi) ;

- plus récemment, avec le lancement d’appels spécifiques, via des financements ad hoc du CNRS ou la création de chaires et postes consacrés aux sujets, l’accent est mis sur des recherches portant sur les phénomènes de radicalisation ou encore l’Islam (sujets pourtant travaillés par nombre de nos collègues depuis de nombreuses années, avec peu de financements et de rares postes).

La loi sur le renseignement va nuire de façon certaine à l’existence même de telles recherches comme à leur qualité, comme le rappelle notre collègue Marwan Mohammed. Ce dernier a d’ailleurs été reçu par le ministère de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur et de la recherche, que nous avons déjà interpellé avec d’autres associations professionnelles, par le biais du cabinet de T. Mandon, sur cette question.

Nous nous tournons donc aujourd’hui vers vous afin que vous examiniez la possibilité de compléter le texte de loi adopté en novembre 2015 qui précise qu’aucune perquisition ne peut être effectuée « dans un lieu affecté à l’exercice d'un mandat parlementaire ou à l’activité des (…) journalistes ». Il est en effet essentiel de protéger aussi les libertés professionnelles des universitaires (au moins de ceux qui sont titulaires de la fonction publique d'Etat) .

Nous demandons par conséquent que soit ajoutée au texte de loi du 20 novembre 2015 la mention « ainsi qu’à celle des chercheurs et enseignants-chercheurs, dépendant d’une université ou d’un autre organisme public de recherche ».

Nous ne faisons là que vous demander que les libertés universitaires, qui sont un principe de portée constitutionnelle, ainsi que le Conseil d’Etat l’a constamment rappelé, puissent réellement s’exercer. Nous nous tenons à votre disposition pour tout complément d’information sur l’exercice de notre profession comme sur notre demande.

Veuillez agréer, Madame la Ministre, Monsieur le premier Ministre, Monsieur le Garde des Sceaux, Monsieur le secrétaire d’État, l’expression de notre plus haute considération.

Pour l’Association des sociologues de l’enseignement supérieur,

Fanny Jedlicki & Laurent Willemez 

co-présidents.