Non, la sociologie n’est pas une usine à chômeurs ! De la stigmatisation des sociologues, de leurs étudiants et de l’université publique
NON, LA SOCIOLOGIE N’EST PAS UNE USINE À CHÔMEURS !
DE LA STIGMATISATION DES SOCIOLOGUES, DE LEURS ÉTUDIANTS ET DE L’UNIVERSITÉ PUBLIQUE
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Derrière une prétendue course à l’excellence et de multiples dispositifs d’aide à la réussite des étudiants, nous assistons depuis quelques années à une stigmatisation et une fragilisation systématiques des universités françaises, de leurs missions, de leurs étudiants. Avec bien d’autres disciplines, notamment dans le secteur des lettres, des sciences humaines et sociales, les formations en sociologie sont l’objet de cette entreprise disqualifiante, portée par des réformes et par des discours médiatiques et politiciens qui résultent bien plus de l’idéologie et de parti-pris que d’analyses solides. Ainsi, il n’est pas rare que des journalistes ou des représentants politiques, y compris parmi les plus hauts placés, fassent état de la faiblesse des débouchés professionnels des sciences humaines et sociales, et de la sociologie en particulier. Voici quelques morceaux choisis : « Dès la seconde, les jeunes doivent savoir que des filières comme l’histoire, la sociologie ou la psychologie, connaissent des difficultés d’insertion. Ils doivent être prévenus ». Géneviève Fioraso, ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, Le figaro.fr, 20 mars 2013 « Du coup, les entreprises forment elles-mêmes des jeunes, que l’enseignement public ne forme pas. Soit parce que les métiers sont de plus en plus techniques. Soit parce que certains métiers rebutent, la boucherie par exemple. Mais aussi à cause d’une mauvaise orientation : des bataillons de bacheliers choisissent la psycho ou la sociologie, sans grands débouchés. » Jean-Paul Chapel, journaliste, interviewé par David Pujadas au cours du journal de 20 H diffusé sur France 2, le jeudi 26 septembre 2013, après la diffusion d’un reportage consacré aux écoles d’entreprises « Mieux vaudrait rationaliser les dépenses en supprimant toutes les filières qui ne conduisent à rien – par exemple psychologie, sociologie ou encore géologie à l’université – et en réintroduisant les entreprises dans la formation plutôt que de leur demander de faire des efforts sur leurs propres deniers pour former des jeunes : alors que c’est le rôle de l’éducation nationale, celle-ci délivre au contraire à des jeunes entre seize ans et dix-neuf ans une fausse formation que les parents se seront sacrifiés à payer bien qu’elle ne mène à rien » Fernand Siré, député UMP des Pyrénées Orientales, réunion de la Commission des Affaires Sociales de l’Assemblée nationale, 16 mars 2011 Placées sous le sceau du bon sens apparent, ces allégations ont des effets de mauvaise réputation auprès de nos collègues d’autres disciplines et des familles, et participent au travail de sape massif de l’université. En effet, dans un système d’enseignement supérieur dominé par les filières sélectives des « grandes écoles », les universités et notamment les filières des lettres et des sciences humaines sont perçues comme des formations inutiles, destinées à accueillir des étudiants peu doués, indécis et pilotées par des universitaires insouciants se tenant à l’écart des « vrais enjeux », évidemment économiques… Or ces propos sont d’autant plus insupportables qu’ils sont déconnectés de toute réalité. Nous, sociologues, membres d’associations professionnelles, élu-e-s dans les conseils centraux des universités, directrices et directeurs d’UFR, responsables de formations (licence, master, doctorat) en sociologie, entendons ici rappeler un certain nombre d’éléments sur nos étudiants, filières et discipline. A propos des débouchés des filières sociologiques En matière d’insertion sur le marché du travail, malgré les difficultés à mesurer avec précision les devenirs des diplômés [quels qu’ils soient], tous les indicateurs montrent que les diplômés des sections de lettres et sciences humaines connaissent des destins tout à fait comparables à ceux issus de bien d’autres formations. Selon les enquêtes statistiques du Céreq, la proportion de détenteurs d’un Master de sciences humaines qui connaissent un « accès rapide et durable à l’emploi » est comprise entre 61 % et 64 % : les étudiants en sciences humaines se situent ainsi tout à fait dans la moyenne des taux d’insertion des étudiants possédant un Master (toutes disciplines confondues), voire légèrement au-dessus. Et selon le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, le taux d’insertion des étudiants titulaires d’un Master de sociologie ou d’un Master pluridisciplinaire de sciences humaines et sociales est compris entre 87 % et 89 %. Depuis de nombreuses années, les formations sociologiques de niveau Master sont construites sur des débouchés professionnels, identifiés et travaillés par les équipes de formation. Ces débouchés sont très nombreux et s’étendent bien au-delà du seul domaine de l’enseignement et de la recherche : les sociologues sont embauchés en entreprise, au sein d’administrations ou de collectivités, d’associations ou d’organismes, dans les domaines du conseil, de l’urbanisme, de l’intervention sociale, de la formation, du marketing, de la communication, de l’expertise humaine et sociale, de l’éducation et de la culture, etc.… Les formations en sociologie n’ont donc pas à rougir devant les taux d'insertion de beaucoup d’autres disciplines, y compris celles des secteurs des techniques, des sciences fondamentales, des sciences de la vie, des sciences gestionnaires ou économiques (qui varient globalement de 83 % à 97 %). Et, plus généralement, les formations universitaires ne déméritent pas face aux taux d’insertion des « grandes écoles », qui sont pourtant dotées de moyens financiers bien supérieurs. A propos de l’échec à l’université et en sociologie en particulier Le premier cycle de sociologie, comme les premiers cycles universitaires en général, est particulièrement dénoncé comme un lieu d’échec. S’il est vrai que seulement un étudiant sur deux de première année de licence passe en seconde année, le taux d’échec en première année de médecine est considérablement plus élevé (80-85 %). Et en 2006, ce sont seulement 60 % des élèves des classes préparatoires scientifiques ou commerciale qui ont intégré une école - en dépit de la sélection initiale des candidats, du faible nombre d’effectifs en première année, et du coût unitaire bien plus élevé de chacun de ces étudiants pour la collectivité. Mais de ceux-là, on ne parle pas… Or de quoi parle-t-on exactement lorsqu’on évoque les « échecs » à l’université ? Le terme ne se justifie pas car il s’agit davantage d’abandons, que l’on pourrait également appeler des changements de trajectoire au sein d’un cursus, pour des raisons très différentes : arrêt définitif des études pour des raisons économiques ; départ en année « sabbatique » ; réussite d’un concours de la fonction publique ou d’accès à un autre cursus de formation ; bifurcation vers un BTS ou une école ; réorientation dans une autre filière universitaire ; sortie du système universitaire après l’obtention d’un emploi ou la transformation d’un contrat temporaire de travail en CDI… Autant de configurations qui témoignent du fait que les jeunes bacheliers deviennent des étudiants aux profils divers, aux horizons sociaux hétérogènes, aux parcours scolaires variables et aux projets différents. En outre, pour certains, les « sorties » d’étudiants des cursus universitaires en lettres ou sciences humaines et sociales constitueraient des échecs et donc la preuve de l’inadaptation de ces formations, alors que les « sorties » d’autres filières ou formations seraient le signe de leur efficacité car la preuve de leur sélectivité ! Il y a beaucoup d’a priori et peu de rigueur derrière ces allégations ! Continuer à assurer nos missions Le fait de permettre à un nombre important d’étudiants d’obtenir à la fois une formation culturelle qui leur est refusée ailleurs pour cause de sélection initiale, ou financière, et ensuite, et grâce à elle, une insertion sociale et professionnelle qui, même hétérogène, s’avère souvent supérieure à celle de leurs parents, constitue, contrairement à ce qu'en disent ces lieux communs qui ont cours, une réelle réussite. Les formations rêvées par les ministres et ministères, les parents, les étudiants mais aussi par les enseignants seraient des formations accessibles à tous, gratuites, sans distinction de niveau scolaire ni d’origine sociale, où l’échec serait impossible et dont on sortirait avec un diplôme garantissant un emploi qualifié de qualité. Il s’agirait donc d’un système où il suffirait d’entrer pour en sortir qualifié, employable et employé. Personne ne peut croire ni même rêver à un tel système ! C’est oublier le rôle du marché de l’emploi et de l’économie (dont les universités ne sont pas responsables !), mais aussi des mécanismes de sélection sociale et économique, comme les volontés des individus à construire des trajectoires propres. Les universités, et en particulier les sciences humaines et sociales, forment de futurs travailleurs, qui participeront au système productif et à l’économie mondialisée. N’oublions toutefois pas que la mission des universités ne s’arrête pas à ce seul objectif : les universités et nos formations en particulier, délivrent aussi des savoirs, une culture, un esprit d’analyse et de synthèse, un regard critique sur le monde, une aptitude à s’adapter à celui-ci et à ses changements permanents, c’est-à-dire qu’elles forment des citoyens aptes à participer au débat public et pouvant œuvrer aux transformations positives d’une société en vue de davantage de progrès pour tous. AFS (Association Française de Sociologie) ASES (Association des Sociologues de l’Enseignement Supérieur)
soutenues par :
- APSES (Association des Professeurs de Sciences Économiques et Sociales)
- Association Champ Libre pour les sciences sociales
- Association Savoir/Agir
Premiers signataires :