ParcourSup du virtuel au réel, lettre ouverte à ma ministre et ma chère collègue conseillère formation
Une publication de Yann Bisiou, à retrouver sur son blog :(Le Sup en maintenance
Madame ma ministre, Madame ma chère collègue conseillère formation au cabinet de madame la ministre
Vous avez inventé Parcoursup, mais avez-vous idée de la réalité de son application ? Pour m’en assurer, je voulais partager avec vous la note reçue d’une collègue décrivant aux membres de son département la mise en place de Parcoursup à la rentrée et vous permettre d’apprécier ses conséquences concrètes.
C’est un département « non sélectif » à capacité d’accueil (consigne de l’IGAENR dans une université sous-encadrée et en déficit). Cela signifie que les collègues ne peuvent dire « NON » à un dossier d’étudiant puisqu’il n’y a pas de sélection. C'est le cas le plus courant pour les licences. Ils peuvent dire «OUI» ou « OUI, SI ». Et c’est là que notre affaire se complique.
Car pour dire « OUI, SI » il faut mettre en place un dispositif particulierd’accompagnement. Sauf que le président de l’université et le VP-CEVU ont fait passer la consigne : « pas d’argent, pas de OUI, SI ». Et comme il n’y a pas d’argent, il n’y aura ni « NON », ni « OUI, SI ». Les collègues diront « OUI » à tous les dossiers ; l’École des Fans à l’université.
L’année dernière cette formation a reçu 1900 candidatures pour 250 places. Combien cette année ? 1000 ? 2000 ? 3000 ? Les collègues vont dire «OUI», 1000 fois, 2000 fois ou 3000 fois ; ça tisse des liens... Je dis « les collègues » car il faut une commission pour dire OUI. Ils seront donc au moins deux.
Combien de temps ça prend pour dire « OUI » sur la plateforme ? 1 mn ? Optimiste. Mais soyons optimistes, puisque nous sommes la Startup Nation ! Donc à 1 mn le dossier cela fait 16 à 50 heures de saisie des « OUI », soit entre 2 jours et 1 semaine de travail. Là j’ai une pensée pour les collègues d’une autre formation qui, l’année dernière, ont reçu plus de 7000 dossiers…
Déjà dans ce petit département, à 45€ de l’heure, le coût est compris entre 1440€ et 4500 €. Ça fait tout de même cher du clic, même dans une Startup Nation. Mais vont-ils être payés ces collègues ? Une prime peut-être ? 500 € brut ? Chacun ? Je comprends mieux pourquoi un job au SMIC semble déjà une super opportunité pour certains membres de votre gouvernement.
Je vois quelques étudiants qui m'ont lu jusqu'ici répondre : "on ne voulait pas la sélection"...Sauf que ça c’est le Business Plan pour investisseur naïf de la Startup Nation. Comme le gouvernement ne veut pas investir dans l'université, il a autorisé les capacités d'accueil. Les collègues ne peuvent se contenter de cliquer « OUI » : ils vont devoir classer les « OUI ». Si , si, je vous jure… c'est ce dont ils ont été informés.
À cause des capacités d'accueil, les 1000, 2000 ou 3000 dossiers devront être classés. Les 250 premiers seront admis, les suivants « en attente » le temps que certains renoncent parmi les 250 premiers libérant des places pour les 750, 1750 ou 2750 autres… c'est "l'absence de sélection sélective". Et là ça va prendre beaucoup plus d’une minute. Combien ?
Le classement doit se baser sur les « attendus ». En amont, les collègues du lycée se seront réunis, les 2 profs principaux auront complété la Fiche Avenir, les étudiants rédigé leur CV, leur lettre de motivation, passé leur test d’autoévaluation (s’ils sont en Droit), etc. Pour lire tout ça il faudrait 10 mn par dossier. Entre 166 et 500h de travail, 5 à 14 semaines à temps plein pour dire OUI dans l’ordre. Vous l’aviez fait ce petit calcul?
Heureusement il y a les notes ! Pas très innovant les notes comme moyen de sélection dans la Startup Nation, surtout avant le Bac… Mais quand il s’agit de mettre des OUI dans l’ordre, au moins ça améliore la productivité comme dirait Gérard Collomb quand il parle de santé publique et de cannabis. Va pour les notes donc ! On prévient quand même nos collègues du lycée pour que eux, au moins, ne perdent pas leur temps ?
Combien de temps pour regarder les notes ? On va cibler les matières principales pour cette licence : français, histoire-géo, mathématiques, sciences économiques et sociales. Et on va fixer des seuils n’est-ce pas ! Pour les bacs pros il faudra un « très bon niveau » dans les matières littéraires et en mathématiques puisqu’il s’agit de les aider à ne pas échouer. 3 mn le dossier ? Entre 50 et 150 heures de travail, 2250 à 6750€ de coût, multipliés par deux pour faire « commission »…
Comme les collègues ne sont pas idiots et qu’ils sont à fond dans la Startup Nation ils vont échafauder des stratégies disruptives. Il y a le parcours de relégation : on affiche une alternative et on peut faire des « OUI, SI ». On classe 400 dossiers et pour les autres ont fait comme dans le classement de Shanghai « entre le rang 400 et le rang 1000 »…
C’est un peu plus rapide, mais il faut convaincre le président de financer une maquette ou un MOOC. Pour la collègue en question c’est raté, il ne veut pas payer.
Sinon tout est une question de timing pour répondre aux candidats. Il y a les partisans du Blitzkrieg : classer le plus vite possible 300 ou 400 dossiers pour obliger les candidats à accepter très vite l’offre et dès que les capacités sont atteintes, on décroche. D’autres, au contraire, vont jouer la ligne Maginot. Tenir ses positions, ne pas répondre, le plus longtemps possible, pour que les désistements réduisent le nombre de dossiers à traiter. On est loin de l'accompagnement des étudiants dans leur projet de formation...
Et ça, c’est sans compter sur le fait qu’en septembre, si l’étudiant n’est pas inscrit, le recteur peut l’inscrire d’office. Des dizaines, des centaines d’heures de travail, pour les lycéens, les collègues du secondaire et des universités et à la fin le recteur inscrit d’office.
Madame ma ministre, Madame ma chère collègue conseillère: dans tous les experts multi-étoilés, les directeurs et présidents d’écoles et d'universités d’excellence de la commission Filâtre et consorts que vous avez consultés, il ne s’en est pas trouvé un ou une pour se livrer à ce petit calcul élémentaire ? On fait quoi maintenant ?
Déjà, pour la prochaine réforme, quand vous aurez une bonne idée, je vous propose que l’on prenne le temps d’en discuter avant… c’est mieux qu’après.
Votre dévoué
Yann Bisiou