Contre l'effondrement de l'emploi scientifique, pour améliorer les procédures de sélection - AFS/ASES

CONTRE L’EFFONDREMENT DE L’EMPLOI SCIENTIFIQUE, POUR AMÉLIORER LES PROCÉDURES DE SÉLECTION
Les résultats du concours 2014 des sections 36 et 40 du CNRS ont été publiés le mois dernier. Cette année, pour la première fois, près de 50 % des candidat.e.s n’ont pas été auditionné.e.s. Les critères de sélection ayant conduit à ces résultats ont suscité de nombreux commentaires et réactions (cf. communiqué de l’ANCMSP et de l’AECSP, messages sur les listes de l’ANCMSP et de l’ASES), auxquels un certain nombre de réponses ont été apportées à l’occasion des Assises de la Science Politique (02-03/04/2014). Cependant, partant du principe que la transparence dans les procédures de recrutement fait partie des exigences de tout concours et permet de garantir a minima l’équité de ses procédures, des questions demeurent que nos associations professionnelles – l’Association des Sociologues de l’Enseignement Supérieur (ASES) et l’Association Française de Sociologie (AFS) – posent à l’ensemble de la communauté scientifique appelée à recruter de futur.e.s collègues au CNRS comme à l’université. Il ne s’agit pas de remettre en cause le travail réalisé par les collègues chargés du recrutement mais bien de réfléchir et débattre collectivement sur les phénomènes structurels qui sont susceptibles d’interroger les procédures de recrutement et d’en accroître les risques de dysfonctionnement. C’est pourquoi nous proposons de co-organiser à l’automne avec les membres des commissions 36 et 40 du CNRS une réunion publique.

Pour ce qui est spécifiquement des concours CNRS, les sections 36 et 40 ont adopté en 2014 un ensemble de critères qui n’ont malheureusement été explicités qu’une fois les décisions prises, ce qui a créé un vrai choc parmi les « recalé-e-s ». Pour le CNRS comme pour l’Université, l’AFS et l’ASES demandent à ce que ces procédures et ces critères de recrutement puissent être explicités. Cette transparence est encore plus indispensable en période de pénurie de postes. Cela suppose donc que les explicitations aient lieu en amont des recrutements et pour chaque étape de celui-ci ; cela suppose aussi que ces critères puissent être stabilisés à moyen terme, au-delà des effets de la collégialité des délibérations.

L’illusion de l’excellence et la réduction drastique de l’emploi scientifique

Malheureusement, ces critères sont souvent résumés autour du terme d’« excellence ». La course à « l’excellence » dans un contexte de pénurie de postes sans précédent a pour effet mécanique une augmentation du nombre de dossiers de grande qualité scientifique pour un nombre de postes de plus en plus réduit, ce qui rend le travail des commissions de recrutement (au CNRS, à l’université ou dans les EPST) extrêmement difficile. Allons plus loin : « l’excellence », dont les critères de construction sont fondamentalement discutables, demeure aujourd’hui une notion trop souvent essentialisée et acceptée au risque d’accroître des hiérarchies et des inégalités dans l’ESR en les auto-justifiant (qu’il s’agisse d’établissements, de pôles, de filières, d’individus...). Comment sélectionner de façon convenable – la plus juste et impartiale possible – dans de telles conditions ? Comment évaluer les dossiers des candidats, qui sont souvent scientifiquement irréprochables, par rapport à une norme d’« excellence », label qui tient souvent en réalité à des logiques purement quantitatives et bibliométriques ? Comment ne pas réifier d’inégales conditions sociales de production scientifique (doctorats, post-doctorats, réseaux de recherche, autrement dit capital social… mais aussi implantation territoriale, institutions d’appartenance, etc.) au moment des recrutements ? Telles sont les questions qui nous sont collectivement posées. La situation est si dramatique qu’on en arrive parfois à penser que le tirage au sort serait l’option la moins absurde ! Pour ces raisons, nous appuyons les membres de comités de sélection, au CNRS comme dans les universités pour exiger avec eux de meilleures conditions de recrutement, autrement dit plus de temps et de moyens pour examiner les dossiers et auditionner les candidat.e.s.

On ne peut recruter convenablement en situation de pénurie !

Mais cela restera insuffisant. Au CNRS comme à l’université, la question des recrutements ne peut être posée sans rappeler combien les sélections à des postes pérennes s’opèrent dans un contexte dramatique et insupportable, d’abord et avant tout pour les candidat.e.s mais aussi pour les collègues chargés de les mettre en œuvre : l’emploi scientifique en France (toutes institutions confondues) est dans une situation catastrophique et les perspectives d’avenir sont encore plus sombres – notamment au CNRS. L’accroissement du nombre de précaires qui font fonctionner laboratoires et universités (faut-il encore le rappeler ?), fragilise les conditions de productions de la science, les institutions scientifiques et bien sûr ces collègues, aux conditions d’emploi déplorables.

Le changement dans l’ESR, ce doit être maintenant !
Poursuivre ces politiques -LRU, LOI ESR du 22 juillet 2013 dite « loi Fioraso » – est suicidaire !

Redisons-le : si les tensions sont si fortes et les suspicions si tenaces autour des recrutements, c’est parce que la situation de pénurie budgétaire et ses effets sur l’emploi sont devenus insupportables. Quand des milliers de collègues non statutaires n’ont pas d’activité scientifique correctement rémunérée et/ou de conditions d’emploi convenables, les autres croulent sous les charges qui ne cessent de s’accumuler – dont les recrutements font partie. Nous demandons une plus grande transparence sur les critères de sélection et un débat collectif sur ces critères, mais surtout nous exigeons une politique volontariste en faveur d’un emploi scientifique à hauteur des besoins réels de la recherche, comme de l’enseignement supérieur. Cette politique doit se traduire par l’ouverture – non virtuelle comme les 1 000 emplois Fioraso-Hollande – de postes de chercheurs et d’enseignants-chercheurs nous permettant de répondre à l’exigence de production scientifique et d’encadrement pédagogique dans notre pays. « Diviser pour régner », c’est bien ce que tentent les gouvernements successifs avec notre communauté : montrons leur qu’ils ont échoué en nous mobilisant collectivement pour défendre une autre politique scientifique (notamment en signant la pétition appelant au changement dans l’ESR) !

AFS-ASES

Paris, le 13 mai 2014

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